29 avr. 2012

Une bien louche affaire...

Je lis dans la presse (*)

Le député PS Julien Dray a convié samedi soir dans un bar parisien Ségolène Royal, Manuel Valls et Pierre Moscovici notamment, pour fêter son anniversaire mais sans les avertir de la présence de Dominique Straus-Kahn parmi les convives, ce qui a provoqué leur départ.

L'information a été révélée par un journaliste du Point, Saïd Mahrane, présent, qui a publié sur son compte Twitter deux photos (Valls et DSK, séparément). Ségolène Royal est dans tous ses états et en veut beaucoup à Julien Dray de ne pas l'avoir avertie, elle et les autres, de la présence très encombrante du gros pestiféré. 

Voici trois jours, pur hasard, je traînais sur la fiche Wikipédia de Julien Dray. J'y retourne, troublé, et je lis bien que Julien Dray est né un 5 mars. Nous étions hier le 28 avril. Sentant que ça cloche, je vais voir la fiche de DSK et... Dominique Strauss-Kahn est né un 25 avril ! 

Vous avez compris, je pense. DSK fêtait hier soir dans un bar parisien son anniversaire et avait invité, en plus de son ami Julien Dray, trois de ceux qui sont appelés, en cas d'élection hollandaise, à occuper les plus hautes fonctions (Valls est pressenti pour être le Premier ministre, et Ségolène Royal a des vues sur le perchoir de l'Assemblée nationale). Or, il y avait un journaliste dans la salle et il prenait des photos. Fuite précipitée des trois larrons ! Scandale ensuite, on feint de reprocher à Dray son indélicatesse, etc.

À l'heure où j'écris ces lignes, la presse ne semble pas avoir attrapé le lièvre que je soulève ici.

26 avr. 2012

La retraite au Flamby

Voici plusieurs semaines déjà, la question a été posée à Nicolas Sarkozy de savoir ce qu'il ferait en cas de non-réélection. À ma connaissance, la question n'a pas été posée à François Hollande, ou alors si bas que nous n'avons rien entendu. La clique journalistique envisageait donc une défaite du président, et par corollaire une victoire du prétendant. Ce dernier, il est vrai, menait à l'époque le match avec dix buts d'écart. Il n'en possède plus qu'un. Force nous est ainsi de nous poser sérieusement la question de savoir ce que Hollande pourrait bien faire s'il est battu. À mon avis, il n'aurait que le choix de l'exil. La honte pour lui serait un trop lourd fardeau. 

À la question de « l'après », Nicolas Sarkozy avait répondu qu'il arrêterait la politique et chercherait à faire du fric. La réponse est conforme au personnage que nous connaissons. Elle est au moins claire. Sarkozy a eu 57 ans en janvier : un peu jeune pour une retraite, surtout que l'homme est un suractif. Il a été maire, député, ministre, puis président. Que voulez-vous qu'il fasse encore en politique ? Il deviendrait membre de droit et à vie du Conseil constitutionnel, sans la moindre obligation d'y siéger. Je ne vois pas franchement Sarkozy aller s'enterrer là. Déjà que Chirac s'y emmerde et y fait de l'esclandre... (*)

François Hollande semble n'avoir rien prévu en cas de défaite, tant il est convaincu d'avoir gagné déjà. Que le rôle n'ait pas encore été officiellement attribué ne dérange pas l'acteur corrézien. Chaque jour davantage, avec une grande application et un sérieux de cardinal, il entre dans la peau du personnage. Je ne dois pas être le seul à lui trouver un air plein de componction et à en glousser de rire. Bref, monsieur H. répète. L'homme du rêve français réenchanté n'envisage pas de travailler ailleurs qu'à l'Élysée les cinq prochaines années. Il est têtu.

Mais si le sort, comme dans un film tragique au dénouement aussi inattendu que pervers, en décidait autrement ? Après avoir tant et si fort claironné qu'il y était, que faire et surtout où aller s'il n'y est pas ? Il serait la risée de la France entière et la honte du PS jusqu'au prochain millénaire. Un camouflet pareil ne se digérerait pas le temps d'une salade mâche et truffes à 140 euros chez Laurent (*). Quelques semaines, mois ou années durant, le temps que l'oubli fasse son œuvre, il lui faudrait se cacher. Nous avons préparé au moins corsé des fromages deux ou trois plans de secours.

Nous inspirant d'un épisode célèbre et calamiteux de l'histoire de France, nous suggérerions en première instance au prétendant défait une fuite en bonne et due forme, mais pas n'importe où : une fuite à Marennes ! C'est en Poitou-Charentes, il y connaît du monde. Il pourrait s'y recycler dans l'huître. C'est bon les huîtres, c'est un produit tout à la fois chic et abordable : exactement ce qu'il faut à un socialiste n'aimant pas trop les riches mais un peu tout de même.

S'il n'aime pas la mer, les embruns, l'humidité, les senteurs marines (ah ! ah ! ah ! ah !), Hollande peut toujours demander à sa copine Cécile Duflot qu'elle lui dégote une bergerie et un troupeau de brebis ou de chèvres dans le Larzac. Le fromage, c'est bon ça ! Et c'est sain. Là encore, Hollande pourrait compter sur les conseils et l'expertise d'une sienne ex-compagne (*).

Nous avons songé que, peut-être, François Hollande préférerait un plus pépère emploi dans sa Corrèze d'adoption. Ce ne sont pas les clubs nautiques qui manquent là-bas. L'un d'eux serait certainement ravi de confier à ce comptable avisé la gestion de sa flottille de pédalos — à voile et à vapeur (*), pour lui rappeler son projet, hélas ! tombé à l'eau, du mariage homosexuel. Pourrait d'ailleurs l'y rejoindre un ancien complice, lui aussi dans la mouise et la misère, le trauma postélectoral : un certain Mélenchon...

24 avr. 2012

Message reçu et autres afflictions

Message reçu...

« Les électeurs nous ont envoyé un message », confie tel abruti, membre d'un parti autorisé. Sous-entendre : « Message reçu ! Nous allons vous lire avec la plus grande attention... patati... Veuillez agréer... patata... »

Patate ! Les électeurs votent, point barre. S'ils veulent envoyer des messages, des doléances, s'ils désapprouvent votre politique au point d'avoir envie de vous en toucher un mot, ils sont capables de le faire en ouvrant leur logiciel de mails afin de vous abreuver de remarques acerbes, de récriminations, de conseils un brin menaçants en vue des prochaines élections. Certains sont encore capables — oui ! — d'écrire une lettre avec un vrai stylo, de mettre cette lettre sous une enveloppe affranchie et d'aller la jeter dans une boîte du quartier. Vous saurez alors ce que c'est, un message. Vous saurez alors ce que veut exactement l'électeur, contre quoi précisément il grogne et récrimine — au lieu de lui prêter, vous qui êtes sourds, un vocabulaire de muet. Le type qui met dans l'urne un bulletin qui ne fleure pas la rose ou semble manifester d'inquiétantes réserves à votre endroit, il n'envoie ni message, ni signal. Il ne s'adresse pas à vous. Il fait un choix qui, par malheur, ne s'arrête pas sur vous. Cessez d'interpréter, messieurs, des signes qui n'en sont pas. Cessez de prendre les électeurs pour des estafettes vaguement rageuses. Cessez d'entendre lamentations et cris de souffrance derrière chaque vote dont vous êtes exclus. Si le peuple vous intéresse en dehors des échéances électorales, écoutez-le de janvier à décembre : il gronde assez pour vous permettre d'entendre et de comprendre que quelque chose cloche, et ce quelque chose n'est pas étranger à vous, aux soins que vous mettez à dépecer la vieille Europe, à envoyer ses peuples aux poubelles nauséabondes de l'histoire.

Autres afflictions...

Les gens qui jamais n'accélèrent au feu orange, qui ne traversent les rues que dans les clous, ne cracheraient par terre pour rien au monde, ne sont jamais tentés d'en griller une où c'est qu'on peut pas et n'ont en tête que des pensées parfumées, des opinions modérées et sans doute jouissent de positions sociales qui leur permettent de penser que tout va bien, qu'il n'y a pas lieu de trop se plaindre, de s'énerver, d'aboyer — ces gens cultivés hors sol et à distance des détritus, finissent toujours par prendre dans la poire une réalité dont ils ne semblent pas savoir qu'elle existe en dehors de leur petit monde aseptisé. La soirée électorale et les divers reportages effectués par les journaux parmi les militants sur le terrain, à chaud, nous ont permis de vérifier qu'il existe au moins trois galaxies de distance entre certains (eux) et d'autres (vous et moi). 

On se doute que le score atteint par Marine Le Pen n'a pas fait sauter de joie tout le monde. On trouve de tout comme réactions. Les embêtés font la moue, mais réfléchissent. Les effarés sautent de tous les côtés et ça me fait bien marrer. Les choqués ne sont pas encore sortis de leur tétanie. Les ulcérés, après avoir bien hurlé, sont partis en consultation chez leur stomatologue (v. note). Les paniqués n'osent plus sortir.

Voici une dame — Liliane, informaticienne dans une PME bordelaise et supportrice de l'incorruptible Eva J., semble-t-il — que le score de Marine Le Pen « flingue », selon ses propres termes. « On ne se doute pas qu'une personne sur cinq croisée dans la rue vote pour Le Pen », lâche-t-elle, tandis qu'on devine son air horrifié. On ne se doute pas que... Ben non, ma petite dame. C'est pas tatoué sur le front des gens qu'ils ont voté « Ça pue ». Un électeur du FN, contrairement à ce que vous croyez, à ce qu'on vous a raconté, ce n'est pas obligatoirement un type à l'aisselle qui se sent de loin, au regard torve de crapule, à la mâchoire crispée, au poing armé de quoi planter feuj ou rebeu ou renoi. Cette dame semble découvrir que les opinions politiques ne correspondent pas forcément à une typologie. Elle tombe de la Lune soudain et découvre l'Enfer. Stupeur : il ne ressemble pas aux gravures inquiétantes du Petit humaniste illustré. Qu'elle y retourne, sur la Lune, avec les Bisounours de sa communauté ! 

C'est là qu'on se dit que le matraquage médiatique et la propagande sont efficaces — efficaces, mais pas efficients. Les braves gens ont assimilé l'idée que l'électeur du Front National ne peut en aucun cas être quelqu'un de bien, de propre, d'urbain. Il doit ressembler à la bête qu'il est et en posséder les pires instincts. Il doit puer de la goule, avoir l’œil injecté de sang. Il doit n'aimer que la musique martiale, etc. 

Où le vote Front National est inquiétant, c'est en ce qu'il révèle la naïveté de gens comme Liliane, leur défaut de jugeote et d'imagination, leurs préjugés, leur inaptitude à réfléchir en dehors des saines limites tracées avec du sent-bon par les éditorialistes fréquentables. On leur a seriné que l'électeur du FN était un sale raciste tout frustré, tout haineux, tout barbouillé de sang : c'est pas vrai. On leur a donc menti ! Le mensonge était énorme pourtant et se devinait comme une trompe d'éléphant au milieu d'un visage.

Oh ! je sais : des clients ressemblant comme deux gouttes d'eau aux portraits officiels, il en existe. On se demande d'ailleurs s'ils ne font pas exprès, par mimétisme, de ressembler à leur portrait-robot. On doit bien trouver aussi chez les cocos des allumés de la faucille et du marteau, des collectionneurs de symboles nauséabonds, des admiratrices échevelées d'un Mao aux sourires aussi dégarnis que le front. Il est sûr aussi que l'électorat du PS doit héberger deux ou trois braves capitaines de gentils pédalos. Celui de l'UMP ne peut pas ne pas nourrir en son sein l'un ou l'autre capitaine d'industrie parfaitement dégueulasse, en plus d'être obscènement riche et d'un cynisme corrosif. On trouverait même chez les prêtres des croyants, en cherchant bien !

J'en connais une palanquée, des électeurs du FN — des électeurs convaincus du FN. Je les connais de loin, je les connais de près. Aucun ne m'a jamais mordu. Aucun ne semble vouloir mordre personne, d'ailleurs — mordre réellement, veux-je dire, au-delà des phrases écrites ou prononcées. Aucun ne sent quoi que ce soit de particulièrement fétide. Aucun ne sue le désespoir, etc. Je ne vais pas vous énumérer tout ce qu'ils ne sont pas, mais vous toucher un mot de ce qu'ils sont. 

Comme vous et moi, ce sont des hommes et des femmes de tous âges, de toutes conditions, issus de tous milieux. Beaucoup sont extrêmement cultivés et d'un commerce agréable. Ils sont irrésistiblement drôles souvent, avec un sens aigu de l'ironie. Ils aiment comme vous et moi des choses parfois délicates : les sourires, les aurores, les mots d'enfants, les courbes des femmes, les grâces du papillon voletant de rose en pivoine, la tendresse d'un vieux chien, etc. Au-delà de leurs goûts, pareils aux vôtres, ils possèdent de vraies racines et les cultivent. Ils aiment la terre de leurs ancêtres comme on aime une mère. Ils aiment leurs églises et leurs cimetières. Ils aiment moins les symboles de leur patrie que la chair même de leur patrie : son histoire, ses riches et sombres heures. Ils sont hommes et femmes de mémoire, et de mémoire filiale. Plus que vous, ce sont des héritiers. Ce que leurs pères (les vôtres, les nôtres) leur ont légué, ils veulent le conserver — le conserver, non le figer. Ils veulent eux aussi pouvoir, demain, léguer à leurs enfants le lopin de terre de leurs ancêtres, qu'ils auront par leur labeur amendé, ensemencé, comme avant eux l'ont fait leurs pères. Cette glèbe parfois ingrate qu'ils retournent et moissonnent, ils n'en peuvent plus de la voir chaque jour piétinée par des hordes étrangères invitées et hébergées à grands frais par des élites pour qui le peuple n'est plus un pays mais une main-d’œuvre interchangeable, une collection de zombies parfaitement modulables et intégrés, privés de mémoire, puisque privés d'histoire, surgissant de partout, donc de nulle part. 

Voilà pourquoi, si nous ne sommes pas méchants, nous sommes dangereux — pour vous.

——————————
NoteLapsus memoriae. Comme le signale ci-dessous dans son commentaire Didier Goux, que je remercie pour sa vigilance, le patient ulcéré devrait consulter un gastro-entérologue plutôt qu'un stomatologue

23 avr. 2012

Soliloque à deux voix

Il y eut un précédent... Deux jours plus tard, passé le cap tant attendu du 22 avril 2012, son verdict rendu, me revoici plongé dans un intense soliloque à deux voix. 

— Tout de même... Tout de même !...
— Te voilà bien fier !
— Je déguste ma sagacité. Je ne suis pas mécontent de mon cerveau. Je ferais un excellent analyste politique et une Germaine Soleil tout ce qu'il y a de plus acceptable.
— De fait, tes prévisions ne manquaient pas de pertinence : les deux qualifiés dans l'ordre d'arrivée, l'écart faible entre eux, la hauteur du score de Marine Le Pen, le report des voix de droite favorable à Sarkozy... Tu as juste été un peu trop généreux avec Mélenchon que tu voyais derrière Le Pen, mais plus haut qu'il ne finit.
— Les fumées de la révolution promise ont quelque peu altéré mon jugement sur les capacités de Mélenchon à trouer le mur du son. Qui n'a pas été, comme moi, intoxiqué ? Je suis agréablement surpris par la piètre performance de ce Robespierre en chocolat. La petite sale bête montait, montait ! Elle va devoir redescendre à toute allure de son petit nuage sanguinolent.
— On a compris que tu ne l'aimais pas....
— Rien à battre du bonhomme. Il n'est pas question de lui, mais de ses idées. Il se présentait comme l'un des candidats opposés au système, mais il a axé toute sa campagne contre Marine Le Pen qui le concurrençait sur ce thème, sans avoir jamais fait partie, elle ni son parti, du système dénoncé. Mélenchon, lui, a navigué trente ans durant sur le pédalo socialiste et s'en trouvait, ma foi, fort aise, jusque tout récemment, carrière faite, avant de comprendre soudain qu'il ne serait jamais autre chose sur ce rafiot-là qu'un ravaudeur de filets. C'est un renégat et un opportuniste.
— Mais il a du talent, tout de même.
— Comme tribun ? Nous sommes d'accord. Hitler aussi avait ce talent-là. On appelle ça de l'esbroufe.
Ouche !... Bon... Maintenant que les finalistes sont connus, comment vois-tu la suite ?
— J'ai lu déjà pas mal de sottises. Le Figaro présentait dans la soirée Marine Le Pen comme l'arbitre du second tour. Ce sera Bayrou l'arbitre et non Le Pen. Marine Le Pen et ses électeurs auront certes un rôle à jouer, et crucial, mais ce ne sera pas celui d'arbitre qui est dévolu au seul candidat à n'être ni de droite, ni de gauche.
— N'est-ce pas un peu chipoter sur les mots ? 
— En aucune façon. Bayrou seul peut se prononcer en faveur de l'un ou l'autre des protagonistes. Marine Le Pen ne peut que se prononcer en faveur de Sarkozy ou ne pas se prononcer du tout. Jamais elle n'incitera ses électeurs à élire Hollande. C'est une certitude que j'énonce là. Elle n'appellera jamais à voter Hollande, même si dans son for intérieur elle souhaite que Sarkozy morde la poussière. À tout moment Bayrou peut, lui, choisir.
— Ce qui ne signifierait pas qu'il soit suivi par ses électeurs...
— Il n'a pas le pouvoir de ramasser ses voix pour les offrir à Hollande, c'est sûr. Il peut néanmoins, en indiquant son choix, influencer les plus indécis de ses partisans qui, sinon, s'abstiendraient peut-être.
— Les sondages pour le second tour effectués à la sortie des isoloirs demeurent plus que jamais très favorables au candidat du PS. Comment expliquer que Hollande puisse littéralement laminer Sarkozy quand la droite, au petit jeu des reports de voix, domine la gauche ?
— Regardons les chiffres. Nous avons les résultats complets, moins les votes des Français de l'étranger. La droite, si on additionne mécaniquement les scores de Sarkozy, Le Pen et Dupont-Aignan, est à 46,89% ; la gauche, à 44,01%. L'arbitre du centre, Bayrou, est à 9,11%. Premier constat : la France penche à droite, mais s'apprêterait à élire triomphalement le candidat de gauche. Un truc va pas. C'est quoi ?
— On se le demande ! Tu vas sûrement nous éclairer...
— Je vais essayer au moins d'écarter quelques araignées... Ces sondages à chaud à la sortie des urnes sont encore une fois des sondages en beurre fondu. Ils font fi allègrement de la campagne du second tour et du fameux débat. Les sondés s'expriment comme s'il ne devait plus rien se passer jusqu'au 6 mai. Or il va se passer un tourbillon nommé Sarkozy et il risque de se passer un effondrement de fromage dans le garde-manger, si tu permets. Les positions sont arrêtées pour le moment, mais elles vont évoluer. Maintenant, ces sondages indiquent tout de même que Sarkozy va devoir y aller les deux cornes en avant s'il veut gagner. Le report des voix est moindre pour la gauche, mais il est assuré, puisque tous se sont prononcés, je crois, en faveur de Hollande. À droite, le report n'est que virtuel.
— Il semblerait effectivement que Marine Le Pen et Nicolas Dupont-Aignan se taisent.
— Marine Le Pen ne s'est pas tue. Elle refuse de choisir et c'est logique.
— Logique ? Elle est de droite, et même d'extrême droite, et elle refuse de choisir sa famille politique contre des étrangers à têtes de gargouilles et de lampyres ! C'est tout, sauf logique.
— Ce n'est pas à elle de bouger. Elle n'a rien à demander. Ce n'est plus elle qui a besoin de suffrages, mais Sarkozy. Si Sarko continue de snober le Front tout en essayant de racoler ses partisans, eh bien il peut ordonner à Carla de boucler les valises : c'est fini.
— Xavier Bertrand a déjà déclaré qu'il n'y aurait pas de négociations avec le FN...
— Xavier Bertrand est une lamentable andouille que Sarkozy devrait expédier sur la Lune d'un coup de botte dans le derrière. Autant dire alors : « Nous avons perdu. »
— C'est un fait que les premières déclarations de Sarkozy, celles de Guaino, n'allaient pas dans le sens de la vertu drapée de probité candide, etc.
— Ils n'ont pas laissé entendre non plus qu'il y aurait des négociations, et de toutes façons il n'y en aura pas. Mais Sarkozy peut inscrire dans son projet des propositions qui séduiront ceux des électeurs du Front qui ont autre chose dans le ciboulot qu'une haine recuite de Sarkozy. Encore une fois c'est l'avenir immédiat de la France qui est en jeu, pour cinq ans, et pas seulement l'avenir d'un Sarkozy que beaucoup souhaitent tué.
— Le bon sens, une fois de plus, contre les passions...
— Toujours, et à chaque instant ! Les Français sont intelligents. Il leur reste à l'être un peu plus.
— Es-tu plus optimiste aujourd'hui quant aux chances de Sarkozy ?
— Froidement, comme ça, non. Mais il peut encore gagner, parce qu'il doit gagner.
— Tu le vois sortir de son chapeau un lapin géant ?
— Ce n'est pas un lapin, mais un taureau qu'il devrait sortir de son chapeau !... Je ne crois pas qu'il doive renchérir avec de nouvelles propositions. La partie est délicate. Il lui faut convaincre une très forte majorité des électeurs de Marine Le Pen et en même temps ne surtout pas effaroucher ceux de Bayrou. Les arguments psychologiques et non plus uniquement politiques sont appelés à jouer le rôle majeur.
— Sans doute est-ce présomptueux, mais quels conseils donnerais-tu à Nicolas Sarkozy ?
— Une chose qu'il doit comprendre, c'est que les électeurs de Marine Le Pen n'ont pas le front bas qu'on leur prête. Ne pas leur parler comme à des attardés mentaux me semble primordial. Cesser ensuite de les prendre pour les désespérés qu'ils ne sont pas. Ce ne sont pas des brebis égarées qu'un coup de sifflet ou de suaves propos ramèneront au bercail. Il ne faut pas les flatter non plus, mais les convaincre, sinon d'adhérer au projet de l'UMP, de la nuisance absolue que représente POUR LA FRANCE le Hollandais et sa clique. Mettre la nation au premier plan, l'exalter ! De la grandeur nom de Dieu, du drame ! C'est là qu'intervient le débat avec Hollande. Sarkozy doit mettre à poil ce marchand d'illusions, littéralement. Il doit le ridiculiser devant la France entière, montrer et faire rire du petit zizi hollandais. Hollande doit être en pièces détachées à la fin du débat, il doit avoir sué maladivement, pleuré, mouillé son pantalon ou que sais-je encore dans le genre catastrophique. Alors Sarkozy peut l'emporter.
— Nous en resterons là. Des projets ?
— Pour ce qui est de cette élection, je n'interviendrai plus avant le débat du 2 mai, sauf imprévu. Nous tâcherons de faire une dernière analyse avant l'horrible journée du 6 mai.
— Horrible ?
— Doublement. L'attente du résultat sera horrible mais au fond délicieuse, et la soirée sera horrible si jamais qui tu sais l'emporte...

21 avr. 2012

Monologue dialogué

J'étais assis au bord de ma piscine, hier après-midi, quand je me surpris à me poser un tas de questions, et à y répondre ! J'appuyai sur la touche rec de mon fidèle dictaphone... Je fus bavard...

— Quels seront les deux qualifiés dimanche soir ?
— Hollande et Sarkozy, dans cet ordre.
— Ce n'est pas très original...
— La question ne l'était pas non plus.
— Le duel idéal, selon toi ?
— Oh non ! Ce n'est que le plus prévisible.
— Et quel aurait été pour toi le duel le plus original ?
— Question sans intérêt. 
— Je la formule autrement alors : le duel qui t'aurait le plus excité ?
— J'aime mieux ça... Le Pen contre Mélenchon. 
— Pourquoi ?
— Pour voir sauter de tous les côtés les poules effarées des médias. Et de un.
— Et de deux ?
— Pour la bagarre. Ce serait saignant à souhait. 
— Qui l'emporterait ?
— Mélenchon, obligatoirement.
— Comment ça, « obligatoirement » ?
— Hitler ne peut pas gagner contre Staline. C'est interdit. 
— Hitler... Staline... De bien gros mots...
— C'est caricatural, bien sûr. Quoique, pour Mélenchon...
— Terrain fangeux. Sortons de là. 
— Bien volontiers.
— Revenons à ce duel partout claironné. Qui l'emporte ?
— Hollande sans doute, d'une courte tête.
— D'une courte tête seulement ? On l'annonce grand et large vainqueur un peu partout.
— « On » ferait mieux de comprendre que le second tour est une tout autre compétition.
— Tu vois donc Sarkozy capable de refaire presque tout son handicap ?
— Que sait-on au juste de ce handicap ? Les pronostics pour le second tour sont de toute évidence un magistral fake.
— Sondages manipulés, entends-tu ?
— Non. Sondages peu fiables. On demande à des gens de s'exprimer sur une éventualité, pas sur des faits. Or, les faits, c'est que nous ne connaissons pas encore les noms des deux qualifiés.
— Toi-même, cependant, tu t'es prononcé. Tu n'envisages pas une surprise, apparemment.
— Non, mais quand les deux qualifiés seront connus, même si ce sont les deux noms que tout le monde a en bouche, ce sera une autre histoire.
— J'ai du mal à comprendre...
— En prenant les meilleurs des sondages pour la gauche entière et en offrant à Hollande, pour le second tour, toutes les voix qui semblent acquises aux candidats de gauche, il n'arrive pas à 50%. Le report des voix de gauche ne sera donc pas prépondérant. Au petit jeu des reports de voix, je vois plutôt Sarkozy en tête, parce que Marine le Pen fera entre 18 et 20%. Hollande, pour atteindre le score burlesque annoncé (56 ou 57%), doit pomper la quasi-totalité des voix recueillies par Bayrou. C'est impossible. 
— Toutefois, les sondages...
— Je pense que l'électeur de Bayrou n'a pas envie que Sarkozy soit réélu. C'est pour cette unique raison que, après avoir voté pour Bayrou au premier tour, il reporte son choix sur Hollande pour le second, mais il le fait comme moi qui, de loin, mettrais bien une baffe à Untel, mais reviens en sa présence à plus de raison. Par là je veux dire que choisir Hollande au second tour, pour un électeur de Bayrou, alors que le premier tour n'a pas encore livré son verdict, c'est un leurre. Quand il faudra effectivement choisir entre Hollande et Sarkozy, la raison lui reviendra et il choisira, avec répugnance, certes, de voter pour Sarkozy, dont il sait bien qu'il appliquera pour la France une politique moins désastreuse que celle de Hollande. C'est le pari que je fais. Itou pour ceux des électeurs de Marine Le Pen qui prétendent préférer Hollande à Sarkozy. C'est pure folie que de préférer Hollande à Sarkozy si on pense à la France — à la France et non à soi-même, à ses affects. Ce premier tour est une question d'affects. Comprends-tu mieux, là ?
— Un peu mieux. Sauf que... sauf que tu fais le pari, tout de même risqué, du bon sens, de la raison.
— Et je n'ai aucune preuve que le bon sens l'emportera, nous sommes d'accord.
— En dehors de ce que feront ou ne feront pas ensuite les électeurs dont le candidat sera éliminé dimanche soir, penses-tu que Sarkozy puisse, seul, refaire une partie au moins de son handicap, si handicap réel il y a et quelle que soit l'ampleur de ce handicap ? 
— C'est évident. Le débat télévisé aura une importance capitale, une fois de plus. Mais pas au point de renverser la vapeur si Sarkozy est donné large perdant... sauf coup de Jarnac ! Malgré le battage médiatique, beaucoup de Français suivent la campagne de très loin... parfois de très, très loin. 
— Les Français expatriés ?
— Pas du tout. Récemment, je lisais un reportage effectué dans la file d'une C.A.F. en province. Une dame disait qu'elle allait voter... Chirac ! Une semaine avant le premier tour, voici une électrice qui ne sait même pas, apparemment, que non seulement Chirac n'est pas candidat, mais qu'il n'est plus président depuis cinq ans ! Un cas, me diras-tu. Oui, mais révélateur. Un tas d'électeurs, les moins politisés, ceux qui s'en foutent un peu et ne font pas la différence entre un cheval et un âne, ne s'intéressent pas encore à l'élection. Mais ils regarderont le débat, exactement comme ces gens qui se moquent du foot mais regarderont quand même une finale de Coupe du Monde que la France dispute. Ils regarderont le débat comme on va au marché, pour choisir entre deux salades la plus appétissante ou la moins fripée. 
— Et Sarkozy leur paraîtra plus appétissant, selon toi ? Sur quels critères ?
— Gauche ou droite, ces gens fort peu ou pas du tout politisés s'en foutent. Ils n'ont d'ailleurs qu'une vague idée des différences. Ils s'en foutent, tout en ayant du respect pour la personne du président, quel qu'il soit. Les petites gens ont un respect inné pour ceux qui incarnent l'autorité. Or, le président, c'est Nicolas Sarkozy. Pour ces gens-là, c'est quelqu'un, le président ! On peut ne pas l'aimer, tout en le respectant. Je me souviens d'un village où c'est le comte qui régentait tout. Il était le gros propriétaire foncier du coin et le plus gros employeur. Il était en outre assez peu sympathique, se croyant encore sans doute au temps des Louis. Le dimanche, il se rendait à l'église en famille et en calèche. Je veux dire : sa famille dans la calèche, lui devant sur son cheval. Il portait la cravache et l'air revêche. Au village, les gens le haïssaient. Il y avait de quoi ! Le comte eut un jour des ennuis à cause de malversations financières liées à des terrains. Tu penses que tout le monde lui tomba dessus ? Au contraire ! Attaqué par l'état, le comte n'eut que des défenseurs au village. On le détestait dans le cadre du village, on ne jurait que par lui à l'extérieur. En attaquant le comte, c'est eux qu'on attaquait. Les villageois n'étaient pas peu fiers, dans le fond, de leur comte.
— Es-tu en train de dire que rien n'est perdu pour Sarkozy ?
— Sa situation semble trop précaire pour espérer mieux qu'une courte défaite, mais ce sur quoi je tenais à mettre l'accent, c'est sur des données un peu irrationnelles, mais en apparence seulement, que personne ne songe à prendre en compte. On fait comme si tout le monde s'y connaissait en politique, comme si tout le monde ne cessait, comme nous le faisons, d'analyser la situation, comme si chaque électeur avait de réelles convictions.
— Ce second tour et ce débat va donc permettre au président de... de quoi, au juste ?
— De remettre à l'heure les pendules. Il n'est pas qu'un candidat. Il est avant toute chose le président. Hollande n'est rien du tout. Quand ce dernier va se retrouver en face de Sarkozy, on va bien voir qu'un truc cloche, qu'il n'a pas l'étoffe d'un président. Considère seulement sa tête la plupart du temps : ses sourcils sont haussés. Signe de l'impuissance, du désarroi. Il semble toujours sur la défensive, offusqué. Quand on l'attaque, il souffre. Sarkozy, lui, a les sourcils froncés d'un décideur. C'est un homme offensif. Se battre, il adore ça. Il ne va pas se priver de démolir le falot, surtout si la cause semble perdue. Il va jouer son va-tout. Hollande, il va l'atomiser.
— Pour rien, puisque tu le vois perdant, même si c'est de peu... Un coup dans l'eau, donc.
— Si j'avais de l'argent à perdre, je miserais tout de même quelques gros billets sur le cheval donné battu.
— Le bilan de Nicolas Sarkozy... Aussi catastrophique que dénoncé ?
— Bien sûr que non. Les circonstances étant données (la crise financière), il a fort bien agi. Il est allé au front. La France ne va pas bien, mais elle résiste.
— Que lui reproche-t-on alors ?
— On reprochait à Chirac, que les gens aimaient bien comme on aime son Papy, de ne rien faire. On reproche à Sarkozy d'en faire trop, d'occuper tout l'espace, avec des tics et des manières de marionnette. Il est horripilant à cet égard, c'est indéniable. On l'a assez vu. Si Hollande gagne, que ce soit de justesse ou largement, ce ne sera pas une victoire de Hollande mais une défaite de Sarkozy. Beaucoup de gens vont voter Hollande contre Sarkozy. Et dans moins de six mois ces gens crieront : « Sarko, reviens ! » Je pense que certains redoutent déjà d'avoir à regretter bientôt Sarkozy. Mais c'est plus fort qu'eux, ils ne peuvent plus l'encadrer. Il ne s'agit pas pour ces gens d'élire Hollande, mais d'éliminer Sarkozy.
— Toi-même, que lui reproches-tu ?
— D'être tout de même assez vulgaire. Il m'a fait honte le soir même de son élection, quand, quelques jours plus tôt, lors du débat avec Royal, il m'a presque fait pleurer de joie quand j'ai compris qu'il avait gagné. Je bondissais dans mon fauteuil comme si on venait de gagner la Coupe du Monde !
— Quel romantisme !
— J'ai un côté très crétin...
— Et donc, le soir de son élection... ?
— ... je vois un parvenu se pavaner comme un jars, roulant carrosse, très occupé à pérorer au téléphone, comme le premier imbécile venu qui aurait décroché le bac et recevrait des félicitations de tout son clan. À côté de lui, ses deux belles-filles, pendues aussi à leurs portables. C'était ça, le président...
— C'était une belle victoire. Il était en droit d'être joyeux. Le rêve de sa vie était accompli.
— Il avait le droit surtout de commencer à faire le président ! Les plus grandes joies sont intérieures. Il fêtait ça comme le gars qui vient de remporter le Tour. Or, il venait simplement d'être appelé au départ. Le Tour, il allait le courir pendant cinq ans. Il aurait donc dû être un peu plus solennel, ayant conscience de la lourde tâche pour quoi les Français l'avaient élu. Il pouvait toujours fêter ça comme il voulait dans l'intimité, loin des caméras. Et danser tout nu sur la table s'il voulait, sur des airs populaires.
— Le Fouquet's ?
— Je m'en fous un peu. C'était une soirée privée. Stupide, mais privée.
— Tu as aussi des reproches politiques à lui faire, j'imagine. Quels sont-ils ?
— On sait bien qu'un président ne peut pas tenir toutes ses promesses et qu'il sait lui-même sans doute celles qu'il ne tiendra pas, parce qu'il les a faites pour séduire des électeurs peu emballés sinon. Ainsi, ceux qui ont cru ou feint de croire que Sarkozy allait nous ramener au temps de Pétain sont des imbéciles d'un calibre exceptionnel. Je pense à Noah, à toutes ces têtes à claques du show-biz qui songeaient sérieusement (?) à quitter la France, parce que dans leurs têtes ils entendaient le martèlement lugubre des bottes. Était-ce ridicule, mon Dieu ! Si j'ai cru que Sarkozy serait ferme sur les questions de sécurité et des racailles, je n'ai jamais cru à ces histoires de Kärcher. Je n'ai donc jamais eu peur de Sarkozy, n'ai jamais douté qu'il était un démocrate, bien davantage que Ségolène Royal, soit dit en passant.
— Jusqu'à présent, tu reproches plus de choses à ses adversaires qu'à lui-même...
— J'y viens... L'ouverture à gauche, quelle déception ! Et quelle horreur ! Un président issu d'une droite qu'on disait dure, fort bien élu, qui était de droite sans complexe, enfin !... et qui nous met au gouvernement des gugusses de l'autre camp ! Kouchner aux Affaires étrangères ! Un ministère régalien pour ce concentré de tiédeur, ce prélat tiers-mondiste ! Les Amara, Yade et autre Dati, dont aucune n'avait jamais affronté le moindre suffrage universel et que le président a choisies pour prouver aux perdants de l'élection qu'il n'était pas raciste, en plus de n'être pas sectaire. Il nomme Dati à la Justice ! Ça ou jeter une bombe dans une église, c'est du pareil au même. La dame avait certes des qualités intéressantes, en plus d'avoir un charme évident, mais s'il fallait donner un poste à cette néophyte, ce n'était pas le bon. Naturellement, le truc lui est monté à la tête et il fallut l'écarter. Erreur de casting...
— Aucun ministre ne trouve donc grâce à tes yeux ?
— Si. Alliot-Marie à l'Intérieur, ce n'était pas un mauvais choix. Fillon à Matignon était un excellent choix. Lagarde à l'Économie était un choix audacieux et parfait. On ne pouvait pas lui reprocher son incompétence, à celle-là. Et Darcos à l'Éducation nationale me plaisait bien, il en voulait, n'était pas sans courage, jusqu'à ce qu'on lui demande de retirer un projet majeur sous la pression de lycéens boutonneux !
— Finalement, tu reproches plus à Sarkozy le choix de ses acteurs que son scénario...
— Les questions purement économiques m'échappent un peu. Je pense que la réforme des retraites était une nécessité et qu'il fallait du courage pour la conduire jusqu'au bout, encore que je la trouve assez timide, dans le fond. Mais bon, en France, dès qu'on touche au social, ça gueule... Ce que j'ai détesté par-dessus tout, c'est la ratification par le Parlement du Traité de Lisbonne. Cette manière de faire passer en force un texte que les Français avaient rejeté unanimement... ! Pour un héritier du gaullisme, je trouve ça... !
— Sarkozy n'a pas trahi son électorat sur ce coup-là. La ratification du Traité par la voie parlementaire était dans son programme.
— Oui, oui, oui, je sais... Il n'a pas tenu d'autres promesses : il aurait pu ne pas tenir celle-là non plus. Il aurait pu décider que, non, finalement, il demanderait leur avis aux Français par voie référendaire. C'eût été risqué peut-être pour ce partisan du Traité, mais noble.
— D'autres griefs ?
— la façon dont il a traité Fillon au début et pendant un bon moment d'ailleurs : infect ! Traiter son Premier ministre de collaborateur ! Un valet, quoi ! Non, franchement... ! Le pauvre Fillon a dû en avaler plus d'une, de couleuvres. Je l'aime bien, Fillon. Qu'il ait tenu cinq ans à sa place est un miracle en soi. Il n'est pas expansif, c'est le moins qu'on puisse dire, mais il fallait je crois un caractère bien trempé pour résister à ce qu'il faut bien appeler du mépris. Certains y ont vu la preuve que Fillon n'était qu'un laquais, un torchon. J'ai la faiblesse de croire qu'il est plutôt trempé, comme l'acier du même nom. Fillon n'a jamais déraillé.
— Est-ce tout ?
— Presque... Agacé m'a le Sarkozy joggeur, le Sarkozy-Bobet sur son vélo ! Ridicule ! Que le président fasse du sport, entretienne sa forme, pourquoi pas ? Qu'il le fasse discrètement ! Il n'y a pas de salle de fitness ou je ne sais quoi du genre à l'Élysée ? Imagines-tu le grand de Gaulle, le gros Churchill, en short et baskets, suant comme des malades en compagnie de leurs gardes du corps sous un soleil de plomb ?
— Je l'imagine bien, non sans rire, de fait... À propos d'imagination... Nous sommes le dimanche 6 mai, il est 20 heures et Hollande est annoncé vainqueur de l'élection... Que se passe-t-il ?
— Nous rions pas mal pendant quelques semaines, de bon cœur. Ensuite les larmes coulent, coulent... mais ce ne sont pas des larmes de gaieté... Ce sont des larmes d'abattement, de colère... Parce que si nous rions des prévisibles bévues et autres culbutes du Bisounours en chef, nous pleurerons quand nous réaliserons que ce n'est pas du théâtre et que nous sommes au cœur d'un ouragan avec à la barre un capitaine d'opérette, à peine qualifié pour déplacer de vingt mètres un pédalo... Mais j'ai prévu l'impensable, une grimace inopinée du diable, un rebondissement de l'intrigue...
— Comment cela ?
— En juin, il y aura les législatives... Hollande ne va pas rigoler avec Mélenchon. Hollande aura besoin d'un maximum d'élus. Il a déjà, sottement, abandonné aux Verts plus de 60 circonscriptions ! Les Verts avec Eva Joly comme candidate vont faire 3%, 3,5%. Mélenchon, lui, sera entre 13 et 15%. Les négociations pour les législatives vont être explosives. Hollande voudra lâcher le moins possible. Mélenchon ne se contentera pas des mégots. Je crois cet ambitieux capable de présenter et de maintenir partout où c'est possible des candidats du Front de gauche contre le PS. Nous nous retrouverions alors avec des centaines de triangulaires et de quadrangulaires (UMP, FN, PS, FG) potentiellement mortelles pour le PS. La droite pourrait ainsi tirer son épingle du jeu et mieux que cela. Le scénario du diable, ce serait que Hollande se retrouve dès juin à devoir cohabiter jusqu'au terme de son mandat !
— Mélenchon prendrait ce risque-là, crois-tu ?
— Oui. Il n'aura pas deux chances comme celle-là. S'il est le révolutionnaire qu'il semble être, au moins de la gueule, il fera tout, même ça, pour emporter la mise en 2017. Avec la dynamique qui sera la sienne au soir du premier tour, ce dimanche, il doit entrevoir la possibilité historique de mettre à genoux le PS, de l'envoyer dans les roses. Rien que pour ça j'espère qu'il fera un haut score, dans les 15 ou 16%. J'attends la suite avec une gourmandise dont tu n'as pas idée !

20 avr. 2012

Discorde, diplomatie, dictature

Autant, dans la vie, j'aime à concilier les points de vue dans une optique diplomatique et de cordiale entente, autant l'art du compromis, nécessaire en politique, m'est difficile, voire odieux.

Deux amis se disputent. Richard aime les blondes, Max préfère les brunes. Question de goûts. Impossible de prouver à Richard (ou à Max) qu'il a tort. En quoi ai-je à me mêler de les départager ? Si je souffre de voir mes amis se déchirer là-dessus (parce qu'ils sont mes amis, justement), je peux les amener à s'entendre sur le fait qu'ils ont en commun d'aimer les femmes et qu'il vaut mieux pour notre amitié qu'ils trinquent à la beauté des femmes au lieu de se jeter à la figure des poignées de cheveux féminins, blonds pour Richard, bruns pour Max.

Même chose s'ils se disputent pour vanter les mérites du poète qu'ils préfèrent, entre Baudelaire et Verlaine. On n'est pas un imbécile parce qu'on préfère Baudelaire à Verlaine ou vice-versa. On est un imbécile par contre si on soutient mordicus que Marguerite Duras est un auteur plus important que Proust ou Shakespeare. On peut cependant aimer Marguerite Duras (où est le problème ?) et même préférer sa lecture à celle de Proust — mais soutenir qu'elle vaut littérairement davantage que Proust ou Shakespeare est une aberration à combattre avec la plus ferme énergie. 

Richard est un supporteur acharné du PSG. Max ne jure que par l'OM. Ces deux-là sont appelés à se friter constamment. Or, je crois, ils supporteront tous les deux l'Olympique Lyonnais (ou Lille ou Rennes) dans le cadre d'une compétition européenne opposant l'un de ces clubs à des clubs étrangers. Et certainement ils agiteront de concert leurs petits drapeaux tricolores quand les Bleus seront sur la pelouse. Et naturellement Max applaudira dans ce cadre un but signé d'un Coq jouant d'ordinaire au PSG. Max et Richard, au-delà de leur rivalité partisane, aiment le foot et la France. Ils peuvent donc s'entendre. Je peux les réconcilier en élargissant le débat. Parce que je n'ai pas comme eux le nez dans mon bol de soupe, ma vue porte plus loin. Je suis dégagé des affects qui les oppriment et les opposent. Ils sont dans le cadre, moi en dehors. Je ne veux pas donner à l'un raison et tort à l'autre. Je veux qu'ils cessent de se chamailler. Parce que leurs désaccords me navre et que je tiens à préserver l'essentiel : leur amitié, la nôtre. Je serais, je crois, un excellent diplomate.

Dans le cadre des relations interpersonnelles, que je sois le troisième homme ou l'une des parties prenantes, si j'aperçois vite les divergences d'opinions ou de goûts, je vois aussi très vite les possibles points d'accords. Bien que l'anarchie ait un plaisant petit fumet pour moi, je suis ainsi fait que, naturellement, je cherche toujours à accorder les violons. Est-ce par douceur, bonté, pacifisme ? Est-ce par calcul, intérêt, cynisme ? Je ne sais. Ça dépend des situations et des personnes. Ça dépend aussi des enjeux. Je suis parfaitement capable de laisser se taper dessus deux guignols et de me réjouir à ce spectacle. Si le fond de l'être est doux, y a des recoins plus sombres en moi, où ça ricane. Ne sommes-nous pas tous pareils à cet égard ? 

Il m'est arrivé, sur Internet, de me prendre le bec violemment avec un contradicteur pas toujours aimable. Je vois bien parfois que c'est une espèce de jeu viril entre grands mâles et ne m'en formalise pas. Je ne laisse pas pour autant un comique me désosser. J'ai ma fierté. J'aime me battre et vaincre. Je n'ai d'ailleurs pas le triomphe exubérant. Vaincre me suffit. Inutile d'ajouter à la victoire le mépris, l'humiliation. Ma victime chercherait à se venger, y parviendrait un jour, directement ou par la bande. S'exposer par arrogance au dard empoisonné de la vengeance est une sottise évidente. S'il m'arrive d'être bête, je ne suis point sot.

Les sujets de discorde ne manquent pas dans la vie. Sur Internet, ils sont légion. Dans le monde virtuel, ils sont aggravés du fait de l'anonymat. Pierre, un gentil garçon dans la vie, se défoule et se déchaîne sur Internet. Il agresse, il assène, il assomme, il assassine. On ne rêve pas d'être à sa place. Est-il pour autant toujours le frustré haineux qu'on lui jette à la figure qu'il est ? Il peut tout aussi bien s'amuser, être agressif dans ses discours sur tel forum et être assis fort paisiblement à son bureau, le sourire aux lèvres. Rien non plus n'interdit de penser que nous avons là peut-être affaire à un type qui a besoin de se défouler, parce qu'il ne le peut dans le cadre étriqué de son existence au quotidien. Je préfère un excité virtuel de cette espèce à un malade mental qu'il serait dangereux de croiser en rue. 

Je ne me disputerais pas sur Internet ni dans la vie quant à savoir si le Lille Olympique est une meilleure équipe que l'A.S. Saint-Étienne. Sans avoir de préférence nette pour aucune des deux, que j'aime de toutes façons sans idolâtrer ni l'une, ni l'autre, je peux comparer les poésies de Baudelaire et de Verlaine, dire ce que j'aime dans l'une et que je n'aime pas dans l'autre ou vice-versa. J'expose ainsi mes goûts, ma sensibilité et, du moins je l'espère, mon intelligence. On peut en débattre, démontrer par exemple en quoi Baudelaire est agaçant parfois, ou Verlaine mièvre aux entournures. Ça ne change rien au fait que nous avons là deux poètes majeurs et qu'il est agréable de les lire et d'apprendre par cœur certaines pièces. Ce que je n'aime pas, c'est quand un macaque en chef, du haut de son palétuvier, se mêle de la conversation pour énoncer que Verlaine, par exemple, est un poète d'une platitude achevée, que Baudelaire est une sous-merde poétique et que la poésie digne de ce nom, on la trouve uniquement chez tel poète malgache du Grand Siècle, évidemment inconnu des ignares que nous sommes. S'il a existé, ce poète malgache n'est pas forcément un nullard du simple fait de sa courte notoriété. Tant que je ne l'ai pas lu, je ne peux le juger. Je me dis simplement que s'il était aussi génial et universel que prétendu, on trouverait ses livres ailleurs qu'à Tananarive. Ce n'est pas qu'on ait des goûts résolument étrangers aux miens qui me défrise, c'est qu'on s'en targue en appelant vomissures ce dont je me délecte, c'est qu'on veuille me faire passer pour un pauvre type, un blongios égaré chez les aigles. 

Je bavarde avec Jeanine — gentille, mais intellectuellement limitée. J'apprécie sa gentillesse, sa faculté à être toujours d'humeur égale, disponible et souriante. Même si je préférerais qu'elle ait ces qualités tout en étant au surplus intellectuellement séduisante, en quoi suis-je habilité à lui faire grief de ses carences intellectuelles ? Quel dessein servirais-je en lui reprochant de n'avoir jamais lu Kafka, d'ignorer même qui est Kafka, de n'avoir peut-être jamais ouï ce nom qui, moi, m'importe ? On peut être une bonne personne sans avoir lu Kafka, ni écouté Ravel. On peut connaître tout Bach, tout Goethe, et être une ordure achevée, une infinie crapule. À la personne qui me sauvera la vie le jour où ma vie sera à sauver (des flammes, de l'eau, du poignard d'un déséquilibré), je n'irai pas demander, condition sine qua non de mon sauvetage, si elle a au moins lu Zola. Je m'en contrefous. Maintenant, soustrait au péril, si j'ai l'occasion de discuter avec mon sauveur et qu'il s'avère, en plus d'être pompier, infirmière ou simple passant, un fort acceptable lettré ou un mélomane averti, ce sera sur mon gâteau une belle cerise et je la croquerai à belles dents. 

Jeanine conçoit fort bien qu'on puisse aimer et n'écouter que ce qu'elle appelle « musique classique », mais elle, ça l'ennuie. Ce qu'elle aime, c'est la chanson française, et spécialement Sardou, Delpech ou Dalida. Si ça me désole un peu, en quoi, nom de Dieu, est-ce dérangeant ? En quoi ce goût « frelaté » est-il indigne d'un être humain — surtout que Jeanine ne se croit pas tenue de me traiter de ringard, de snob ou de m'as-tu-vu ? Je peux me mettre en tête de réformer, ou de former plutôt, son goût. Outre que je trouve ça prétentieux, à quoi ça servirait, sinon à flatter ma vanité ? Bien sûr, je regrette qu'elle ne puisse apprécier la funèbre beauté du Kaddish de Ravel, la somptueuse et mélancolique élégance du huitième des Quatuors à cordes de Chostakovitch. Je regrette de ne pouvoir partager ça, oui — mais pas au point d'en souffrir, de me sentir humilié et de renvoyer Jeanine à sa Maladie d'amour, son Lac du Connemara et autres Divorcés ou Besame mucho. Du reste, je me console de mon impuissance à faire aimer ce que j'aime en me disant que je ferais une belle tête si Jeanine avait dans la sienne de me faire apprécier ses idoles ! Parce que voilà, elle peut elle aussi avoir envie de partager ses émotions musicales — à quoi je ne tiens pas s'agissant des artistes concernés, pas plus que je n'ai envie qu'on se mêle de me faire aimer Duras ou BHL.

Mon billet s'est étiré au-delà de mon intention initiale, et je n'ai pas écrit la moitié de ce que j'avais l'intention d'écrire. Partant de l'idée — illustrée par des exemples — que je ferais un bon diplomate, je voulais en venir au paradoxe que je serais en politique, si le pouvoir m'était donné, sinon un dictateur, quelque chose comme un despote plus ou moins éclairé (je suis sûr du despotisme, moins de l'éclairage). Et je voulais en venir à ça pour avoir récemment couché sur le papier quelques-unes des mesures radicales que je prendrais ex abrupto si j'étais élu président. J'y reviendrai, c'est instructif.

18 avr. 2012

Little Gouda au pays de Candy

François Hollande, alias Little Gouda, est depuis longtemps déjà donné par tous les sondages vainqueur autoritaire au second tour. Au mieux, il gagnerait avec 56% des suffrages contre 44% à son adversaire désigné, le « candidat sortant », au pire avec 53% contre 47%. Donc, c'est plié, adieu le Fouquet's !

Ces chiffres me laissent perplexe. J'ai beau retourner dans tous les sens les divers sondages et accorder au candidat hollandais les meilleurs reports, je ne vois pas comment, ni par quelle astuce, il parvient à un score relevant du plébiscite, alors qu'on sait qu'il est un choix par défaut et que sa candidature ne suscite pas un enthousiasme débordant, même à gauche. Y a quelque chose comme un lézard dans le fromage. 

En admettant que Hollande soit à 28% au premier tour (il est à 26,5% dans le dernier sondage IFOP), et si on lui offre pour le second tous les suffrages recueillis par un Mélenchon à 15% (à 13,5% dans le sondage IFOP), ça ne fait jamais que 43%. Si on ajoute à cela tous les votes engrangés par les petits candidats de gauche (Arthaud, Poutou, Joly), on n'atteint pas encore les 50%, donc assez loin des 53, 54, 55 ou 56% promis pour le « Grand Soir ». Pour atteindre ces scores, Hollande doit presque tout prendre chez Bayrou (à 10,5% chez IFOP) et quelques voix aussi chez Le Pen (à 16%). Ça me semble très audacieux de croire possible une telle razzia.

C'est une fois de plus le centre qui couronnera le roi. En 2007, Bayrou, plus haut dans les sondages (et au final dans les urnes) qu'il ne l'est aujourd'hui, avait subi plus d'un appel du pied émanant de Ségolène Royal. Le Béarnais s'était gardé d'y répondre, sans repousser toutefois ce pied d'une dame qui avait tout de même des séductions autrement plus bandantes pour un homme que celles, moites et suintantes, de l'ex-conjoint à Ségo. Sarkozy avait donc décroché la timbale, confortablement, sans que Bayrou donnât la moindre consigne de vote. Ses électeurs du premier tour avaient majoritairement reporté leurs voix sur le candidat de droite. Quoi de plus prévisible ? Le centre en France est un centre droit et a toujours été associé à la droite. Jamais le candidat du centre n'a fait partie d'un quelconque programme commun avec la gauche. Bayrou n'est pas né de la dernière pluie, il sait que, même en cas d'entente plus ou moins officielle, jamais la gauche ne lui abandonnera un seul strapontin, et jamais il n'y aura d'accords avec le PS en vue des législatives. Déjà que son propre camp reproche à Hollande de n'être pas assez à gauche, d'où le succès d'un Mélenchon en révolutionnaire apoplectique et choc, ce n'est pas pour ajouter au flan du mou ! Bayrou sait par contre que Sarkozy est parfaitement capable de le nommer à Matignon, et ses électeurs le savent aussi, sinon tous, la plupart. Lorsqu'on a voté pour un candidat finalement éliminé, on se rabat ensuite logiquement sur celui des qualifiés qui offrira à nos idées la meilleure exposition. De ce côté-là, les électeurs du centre ont tout à gagner d'une victoire de Sarkozy.

L'antisarkozysme expliquerait la raclée promise au candidat sortant. Quel antisarkozysme ? Où le voit-on dévorer le candidat de l'UMP, sinon dans les journaux et dans la gueule du socialiste caséeux ? Dans les intentions de votes, Sarkozy demeure bien haut pour un candidat rejeté de tous. Il est au coude à coude avec la « providence » hollandaise, parfois devant, parfois derrière mais de peu, ce qui cadre mal avec la victoire torrentielle, annoncée à grand fracas de buccins, du candidat « normal ».

Il y a une inconnue dans le scrutin à venir, c'est le score que réalisera Marine Le Pen. Les sondages sont très fluctuants à cet égard, mais tous à peu près la voient en constant repli. Au mieux, elle stagne. Rien ne justifie ce repli, surtout que ce repli profiterait non à Sarkozy comme en 2007 (siphonnage annoncé et obtenu), mais à Mélenchon, celui-là même qui ne cesse de taper dur sur la candidate du Front et sur ses électeurs, celui-là même qui récemment encore, à Marseille, chantait son amour du Maghreb et déclarait sa flamme non tricolore aux Arabes et aux Kabyles, jusqu'à les présenter plus estimables que vous et moi — soit une population que les électeurs du FN préféreraient savoir dehors que dedans. Y a un varan dans la confiote, que je vous dis, moi ! S'il est envisageable que Mélenchon prenne des intentions de vote à Le Pen plutôt qu'à Hollande comme il serait logique, alors nous nageons en plein délire et tout devient possible, même que Cheminade coiffe tout ce beau monde sur le poteau ! Et même si quelques brebis égarées se détournaient de Le Pen pour Mélenchon (il y a des fous partout), ce n'est pas une garantie de report automatique de leurs voix sur Hollande au second tour (la folie a aussi ses limites). Quant à croire possible un large et stratégique mouvement des électeurs lepénistes en faveur de Hollande, je n'y crois pas en dehors des intentions et des menaces. La réalité, l'horreur de la réalité les rappellera à l'ordre au moment de glisser dans l'urne le bulletin fatidique. S'ils veulent croire que le mandat de Hollande sera une catastrophe et qu'il suffira de ramasser les morceaux en 2017, ils se fourrent le doigt dans le zœil ! Si la France est en capilotade au bout de cinq années de « rêves réenchantés », l'électeur, qui est aussi un consommateur et un citoyen, ne prendra jamais le risque de se rabattre sur l'aventure nationale proposée même habilement par le FN. Il se donnera donc au plus rassurant des prétendants de l'opposition, soit le candidat de droite, soit celui du centre.

Sarkozy pendant ce temps-là, imperturbable et batailleur, s'en va répétant que la campagne pour le second tour est une nouvelle campagne, comme si les compteurs étaient remis à zéro dans l'intervalle. Eh bien, il a raison. Les compteurs seront remis à zéro en pratique et il n'y aura plus sur le ring que deux adversaires appelés à en découdre — face à face. Le choc sera direct et frontal. Fini le temps des petites piques lancées de loin, comme ces attentats de cour de récréation commis par un revanchard haut comme trois pommes à l'encontre d'un vilain plus grand que lui ! Crachoter en direction de l'ennemi, à vingt mètres, outre que ce n'est pas l'atteindre, cela manque un peu de témérité. C'est une autre affaire que de se retrouver nez à nez avec le vilain et réitérer ce crachat, en l'atteignant cette fois, en pleine face. Hollande ne part pas favori d'un corps-à-corps l'opposant à Sarko. Et il le sait. On a des preuves qu'il redoute ça plus que tout. N'est-il pas contre l'idée de deux ou trois débats directs et thématiques au lieu d'un seul entre les deux tours ? Pourtant, ce serait pour le candidat « normal » la double ou triple occasion de mettre en scène sa normalité, d'en mettre à cet égard plein la vue aux Français supposés en avoir plein les bottes du ludion. Tout le monde verrait à quel point Hollande rassure, comparé au petit nerveux d'en face avec ses tics et ses coups de bluff. Les électeurs encore hésitants auraient enfin l'occasion d'en savoir davantage sur le programme, inouï de justice sociale et de retour garanti de la croissance, du pâtre corrézien. Ben non, Hollande y veut pas. Un débat, un seul, puis l'Élysée. Son rêve, à Hollande, est de finir président et non martyr comme Sébastien. Pour y parvenir, il doit éviter de s'exposer en présence de Sarkozy. Il le sait, et je suis à peu près sûr qu'il sue déjà de l'intérieur à la seule perspective de ce débat cathodique avec le type à l'arc. Sarkozy, lui, n'attend que ça.

Hollande s'y croit, et s'y voit trop pour ne pas être en train de commettre le péché d'orgueil qui pourrait bien l'expédier en enfer plutôt qu'au paradis. Hollande s'y croit, sauf que le Diable existe et qu'il n'a pas lâché son dernier mot. Observez Hollande, écoutez-le : il y est, on a gagné ! Le round de qualification n'a pas eu lieu encore que les petits fours et le champagne sont prêts. Une douce euphorie flotte, un vent de roses souffle. Tant de calme, tant de sérénité, tant de confiance et tant de bonhomie dans le chef du candidat entrant ! Ohé ! François, on est dans la vallée, il reste à franchir l'Aubisque puis le Tourmalet, c'est pas le moment de rêver tout haut et de te voir déjà dans les nuages parmi les miss en rose et leurs froufrous ! Poupou (*), à qui on peut comparer Hollande pour la jovialité et le capital sympathie, n'a jamais pu battre ni Anquetil ni Merckx les teigneux dans la compétition cycliste majeure qu'est le Tour. Il aurait pu, et même aurait dû, à trois reprises au moins, sauf qu'un jour la malchance, la maladresse un autre jour, l'empêchèrent de coiffer jamais des lauriers pourtant promis et même déjà tressés. Comme quoi la peau de l'ours, mieux vaut ne pas la vendre avant d'avoir terrassé l'ours — surtout que l'ours en question est un redoutable et rusé mâle que l'on a tort, selon moi, de croire déjà capturé, soumis, dépouillé. Quand je regarde Hollande, quand je vois ce petit notaire de province promener sa bobine rubiconde et suintante, le bedon en guise d'écharpe municipale et de garantie à vie contre la voracité des grands patrons et des banquiers filous, je ne peux pas rester sérieux et penser que ce gars-là ait la moindre chance de présider un pays comme la France, sauf si la France n'est plus la France, mais un rêve d'épicier — telle une mondaine jadis orgueilleuse et belle, rangée des bals, des éventails et des chapeaux, craignant, l'âge venu et les varices, la solitude et se donnant au premier marchand de cochonnailles à passer, pourvu qu'il veuille et sache encore la gâter parfois, d'une rondelle ou deux de l'appétissant saucisson que je vois là. Quand je considère ce monsieur-là, si imbu de sa replète suffisance, tout rose déjà d'une victoire demeurant à conquérir, l'image à moi s'impose, grotesque, de Little Gouda au pays de Candy.

En 2007, il y avait un tel battage, un tel et si frétillant désir d'avenir autour de Ségolène Royal que, même si Sarkozy menait le bal des chiffres dans les intentions de vote, les électeurs de droite ont craint jusqu'au bout un revers de leur champion, tellement la gauche, toujours si sûre de son jugement et de ses prédictions, avait partout claironné que Sarkozy, représentant d'une droite qui commence à puer, n'avait aucune chance d'être élu président. Royal face à ce dangereux et nauséabond individu n'avait que des atouts. Une femme ! Si belle ! Si charismatique ! Tellement tout ça ! Tellement plus que tout ça ! En face d'elle un nabot, un facho, un Cruchot (*) ! La magie et le charme allaient opérer, si les chiffres regimbaient. Au final que vit-on ? La madone du Poitou en petite culotte rue de Solférino, rasant les murs de son dépit et de sa courte honte... 

Si l'histoire pour Hollande devait encore bégayer dans le sens d'une déculottée et si nous devons cinq ans durant vivre avec en tête la pénible image d'un Hollande en slip, je le déclare tout de suite : Little Gouda for president ! J'aime le cinéma d'horreur jusqu'à un certain point seulement.

15 avr. 2012

Un regard, une simple attention

Une amie (virtuelle) s'interrogeait récemment sur la nécessité de sa présence sur Facebook. Cette interrogation faisait suite au constat un peu désabusé qu'elle écrivait dans le désert, puisque personne, ou si rarement, ne lui faisait la grâce d'un commentaire. Vous me direz que cette sorte de gens pullule sur les réseaux sociaux. Eux aussi veulent exister, comme ces drôles et moins drôles qui grouillent à la télévision et partout où traînent des tréteaux et un public. S'ils veulent exister et qu'ils n'y parviennent pas, c'est qu'ils n'en valent pas la peine. Sujet clos.

Dans ce cas précis, nous n'avons pas affaire à un nombril avide de regards et de bravos. Je la connais depuis assez longtemps pour savoir que cette dame appartient à un tout autre univers. L'insignifiance n'est pas non plus sa marque de fabrique. Elle est discrète, inquiète et concentrée. Elle livre chaque jour de très courtes réflexions qui semblent extraites d'un journal intime, le journal intime d'une personne en quête de sens. Pas de grandes phrases, pas de grands mots, jamais de cris. Au contraire, une prose resserrée, dense, dont on sent bien qu'elle a maturé avant d'apparaître à l'écran (et sur le papier avant toute chose, c'est une évidence). Ce qu'elle écrit est très intime sans être un instant impudique — intime au sens de la pensée, la sienne propre, car elle ne livre jamais d'opinions. Ce sont comme des mouvements au sens musical du terme, mais fragmentés, poussières d'adagios. La démarche est belle de sa sincérité. C'est peut-être inutile. Ce n'est pas vain.

Que voulez-vous dire à quelqu'un qui écrit : « Pincer la réalité pour qu'elle se réveille de sa douleur endormie », ou encore : « ... aussi fragile qu'une ombre en plein soleil... » Que vous aimez ? Que c'est beau comme du Baudelaire sans le poison des fleurs maladives ou comme du Verlaine sans le feu de l'absinthe ? Que c'est pas mal du tout, mais que dans le fond, vous, vous pensez que... ? Que vous vous souvenez avoir lu chez Untel une pensée similaire et que vous aviez noté ça quelque part, mais où bon sang !? Ça ou lâcher un pet énorme en pleine messe au moment de l'élévation, la différence n'est que de circonstance — pas de nature. 

« Si personne ne dit rien, c'est parce que tout le monde écoute », ai-je conclu mon intervention initiale. 

La discussion était lancée. Plus loin, bien que cela ne m'était pas demandé, j'ai justifié comme suit ma discrétion (car c'est bien ce dont il est question) : « Je ne réagis pour ainsi jamais à vos écrits pour une raison bien simple : ils ont ce pouvoir de me rendre silencieux (pas muet, silencieux). Ils sont comme un ruisseau qui murmure dans le haut silence d'une forêt. On l'écoute sans mot dire, on ne le conteste pas, on ne lui formule aucune critique... »

Elle fit alors cet aveu : « Je crois que derrière mon interrogation concernant la nécessité d'une présence sur FB, il y a aussi celle concernant la nécessité d'une présence de ce que j'écris : est-il bien nécessaire de mettre en ligne mes "confessions littéraires" ? Est-il bien nécessaire de parler de moi ou d'exposer mes écrits quand mon intention réside seulement dans la rencontre avec l'autre ? »

Tout le paradoxe de l'écrivain et de son rapport au monde est là. Ce désir — légitime — d'exposition doutant de sa pertinence. Cette envie d'être vu tout en demeurant caché. Cette demi-soif de semi-clarté. Cet autre — qui ? pourquoi ? — vers qui on tend des phrases-regards et des mots-sourires, que l'on tremble de rencontrer vraiment, crainte de l'inévitable déception, quoi qu'on attende de lui, que l'on voudrait cependant plus près, plus intime parfois. Un miroir ? Un confident ? Un amant qui ressemble tant à soi ? Un simple ami, simplement chaleureux, bienveillant, qui ne se croira pas tenu de commenter nos affaires, ne se mêlera pas de notre existence, mais dont le regard, la modeste présence signifiera : « Tu existes, ma présence le prouve. » ? 

Il y a évidemment des problèmes plus importants sur terre que les interrogations de ces neurasthéniques que sont ou menacent toujours d'être les gens de plume. Nous sommes ici au cœur des ténèbres de l'être, dans ce corridor où tout le monde passe en croisant chacun sans jamais remarquer personne. Nous sommes au sein de nos terreurs enfantines, qui jamais ne disparaissent vraiment. Ce n'est pas ridicule, ni pathétique. C'est le drame même de la solitude commune à tous, à chacun de nous — solitude métaphysique dont certains sont seulement plus conscients que d'autres, parce qu'ils sont davantage attentifs aux rumeurs intérieures, moins sujets aux distractions de la jeunesse... plus seuls aussi, parfois, ou moins entourés, si vous préférez. Nous avons tous le même cancer, mais nous n'en souffrons pas de la même manière. La plus grande résistance des uns à la douleur n'empêche pas cette douleur. La haute sensibilité des autres à la même douleur ne trahit pas forcément une sensiblerie de fillette. 

J'ai repensé à cette discussion et à cet isolement de l'être, à cette parfois très embarrassante mais invincible tendance à l'autre, malgré moi, cet après-midi. J'avais prévu une petite sortie champêtre. Or, je me sentais en petite forme et bien maussade, un brin agacé. Je sortis cependant. Après dix minutes, j'étais plein d'allant et tout souriant. Pourquoi ? La marche ? Le bon air ? J'ai simplement croisé et salué plusieurs personnes qui m'ont salué de même, rien de plus. Par ces échanges courtois naturels et très convenus, nous nous sommes — sans discours, sans même y penser — mutuellement reconnus en tant qu'humains (et non cailloux, vieilles godasses ou trognons de pomme). Nous nous sommes dit, sans le dire, sinon par le biais d'un bonjour et d'un regard : « Tu existes, puisque je t'ai salué. » C'est peu, mais c'est immense. Ça ne suffit pas toujours, ce serait trop facile, mais ces sortes d'approbations sont essentielles. Sans elles, de fait, nous n'existons pas et souffrons de ne pas exister. Cette souffrance est vicieuse. Elle nous rend tristes un temps, puis agressifs — envers nous-même, envers autrui. Elle nous embue, obscurcit tout. Elle fausse toutes les perspectives.

14 avr. 2012

Ethnocide à bâbord !

On ne mesure pas toujours les désagréments, prévisibles pourtant, de certains bienfaits sociaux. Quand je dis « désagréments », c'est un euphémisme. On ne mesure donc jamais, disais-je, la nocivité parfaite de nos belles inventions sociales. 

La contraception par exemple. Merveilleux, non ? La contraception a libéré nos femmes d'une terrible servitude : la fidélité. C'est un indéniable progrès, une avancée démocratique. C'est vrai que nous avons parfois, nous les hommes, avalé cette pilule de travers, mais la contraception de nos compagnes nous a délivrés d'une lucidité obligatoire et parfaitement odieuse : devoir sortir précipitamment du bain alors que nous venons à peine de nous y plonger et que l'eau est bien chaude est un abominable crève-cœur. Je sais très bien, inutile de m'en parler, que certains vieux madrés et expérimentés orpailleurs parvenaient mieux que d'autres à demeurer au chaud plus longtemps, si bien que l'eau du bain avait tiédi quand la lave en eux montait irrésistiblement et qu'en même temps l'avenir projetait, dans leur esprit recouvré, l'indicible horreur de la paternité. Ceux-là ne bougonnaient donc pas trop au moment de quitter le chaud fourneau afin de cracher plus loin, dans la sciure : ils en avaient eu pour leur argent. 

L'avortement est une autre avancée majeure de l'humanité occidentale. Pensez un peu : pouvoir, sans craindre les foudres de la justice — Dieu, on s'en fout —, tuer un enfant ! Et le faire en étant, qui plus est, remboursé des inévitables et menus frais de l'opération (téléphone, déplacement, place de parking, etc.). Quel plaisir ! Et dire que, des siècles durant, des femmes qui s'étaient adonnées à ce rare délice étaient rudement châtiées ! Nos ancêtres les Gaulois avaient une conception cruelle des libertés individuelles et des droits imprescriptibles de la personne humaine, vraiment... 

Nous étions des losers, nous sommes devenus des winners, tout cela grâce au militantisme de quelques politiciens aux idées larges et à la compétence de la médecine moderne, son infinie bonté. Remords ? Nada ! Culpabilité ? Zéro ! Chagrin ? Schnol ! Du bonheur et seulement du bonheur.

Sauf que...

Tout a un prix, et nous sommes en train de le payer. Je ne parle pas d'argent, une intervention même énergique du FMI n'empêchera pas le désastre. Il nous fallait jouir maintenant et sans entrave, si bien que nous ne nous sommes pas préoccupés des conséquences hautement prévisibles de notre lubricité. Nos poules ne pondant plus assez d’œufs, la main-d’œuvre vint à manquer. Nous dûmes importer des enfants exotiques, que nous n'avons ni choisis, ni élevés, ni éduqués. S'ils n'étaient que turbulents et un peu plus basanés que nous ne le sommes nous-mêmes, ce ne serait rien. Nous avons fait venir des enfants d'une culture un rien plus rigide que la nôtre ou moins engagée que nous dans le rayonnant avenir. Cette culture ne permet ni la contraception, ni l'avortement. Elle encourage qui pis est la reproduction, le nombre faisant la force (amère vérité que nous dégustons chaque jour un peu plus). Pour notre malheur, les poules de cette race-là sont fécondes à souhait et n'ont rien à faire dans la vie en dehors de s'arrondir neuf mois par an. Les nôtres ont le sein qui déborde outrageusement, mais le ventre triste. Quand elles enflent, c'est pour avoir trop bouffé, mal et n'importe quoi. Les petits blancs dans les maternités commencent donc à s'y faire rares. 

C'est ainsi que, fatalement, en à peine trente années — allez, quarante, soyons larges —, nous sommes en déclin démographique, tandis que nos petites pousses d'importation croissent et se multiplient dans un joyeux désordre et avec la bénédiction fourbi et gourbi de nos autorités autant civiles que religieuses. Majoritaires, nous le sommes encore. Jusques à quand ? Moi qui suis vieux déjà sans être encore très vieux, je ne suis pas assuré de mourir entre nous, entre vieilles gens du pays. Il est même à peu près sûr que ceux-là qui auront la tâche de creuser ma tombe et d'y enfouir mon cercueil porteront des prénoms qui ne seront pas Charles, ni Louis, ni Henri, mais Momo, Moussa, Ibrahim, Salif. Vous me direz que dans l'état où je serai, ça ne me fera ni chaud, ni froid. N'empêche que ça me fait rudement chier. Là, aujourd'hui.

Je lis l'effroi dans vos yeux. Je vous ai coupé l'appétit et filé la pétoche. Vous me dites : « Il faut faire quelque chose ! » J'aimerais pouvoir vous rassurer, vous répondre, clin d’œil complice à l'appui : « On s'en occupe ! » Ce serait mentir. Cassandre a crié en vain, il est aphone désormais, malade, dégoûté. Ce n'est par contre pas mentir ni fantasmer que d'affirmer que tout cela découle non d'une naïveté, d'une implacable et sordide sottise de nos devanciers, mais d'un projet — froidement conçu, patiemment élaboré, rigoureusement suivi — de société universelle uniforme.

13 avr. 2012

Gousperoù ar raned

Parfois, comme ça, vous reviennent de très loin des souvenirs que rien de précis n'a convoqués. Ils étaient là bien sûr, quelque part, pas oubliés, encore moins refoulés, mais comme désactivés. Et voici qu'une opportune rêverie vous les restitue, à peine décolorés.

J'ai longtemps conservé une cassette audio dont l'enregistrement, improvisé dans l'urgence, datait du début des années 80. Devant ma télé, j'étais alors tombé sur un documentaire qui d'emblée m'avait captivé d'une manière bien singulière, au point que je m'étais précipité sur mon minable enregistreur à cassettes pour enregistrer le son à la diable, donc en faisant silence. 

C'était un documentaire de Michel Treguer, avec l'ethnomusicologue Donatien Laurent et les sœurs Goadec, alors toutes les trois vivantes encore, mais déjà bien âgées. Ce documentaire portait le titre fort étrange : Les vêpres des grenouilles — soit en breton Gousperoù ar raned. Donatien Laurent, passionnant comme peuvent l'être et souvent le sont les chercheurs de son espèce, emmenait le téléspectateur sur les traces de ce bon vieux vicomte de La Villemarqué, philologue et spécialiste de la culture bretonne. Il y était surtout question du Barzaz Breizh, recueil de chants populaires bretons que le vicomte avait passé sa vie à compiler. 

C'est que, de son vivant déjà (il est mort en 1895), et jusqu'en 1964, Théodore Hersart de La Villemarqué était regardé de haut et de biais par ses collègues, dont un certain Luzel. On lui reprochait d'être un faussaire, ni plus ni moins, un faussaire de génie, mais un faussaire. Comme Macpherson avec le faux barde Ossian, La Villemarqué aurait bricolé son recueil. Il n'aurait rien recueilli du tout, ou si peu, et aurait falsifié ses sources, arrangé les textes à sa convenance, à mille lieues de la rigueur scientifique qu'on est en droit d'attendre d'un chercheur. Luzel ainsi ne pouvait admettre que La Villemarqué avait recueilli dans le Trégor des textes aussi complets que ceux retranscrits dans le Barzaz Breizh, alors que lui-même n'y était jamais parvenu. Querelles d'experts comme on les aime, tempête dans un verre de chouchen. L'un des reproches majeurs allégués pour disqualifier le vicomte était qu'il ne pouvait connaître tous les dialectes bretons, notamment le vannetais.

C'est alors qu'en 1964, au manoir familial des La Villemarqué à Keransquer (Quimperlé), Donatien Laurent mit la main sur les carnets de collecte du vicomte, lesquels prouvaient de manière irréfutable qu'il avait bien travaillé sur le terrain, sérieusement qui plus est, et qu'il connaissait les variantes du breton mieux qu'on ne le lui avait accordé jusque-là. Il avait cependant quelque peu retravaillé les textes recueillis oralement, comblé çà et là les lacunes de ses sources (des paysans frustes et illettrés pour la plupart), assemblant des bribes de textes, moins pour tricher, évidemment, que pour présenter au final un ouvrage achevé, lisible, populaire, au lieu d'un pensum philologique destiné à la poussière des bibliothèques savantes et aux deux maniaques par siècle qui le compulseraient avec une dévotion d'onanistes. Notre vicomte aimait autant le folklore que l'histoire du folklore.

Il semble évident que les polémiques nées des travaux contestés du vicomte recelaient aussi des relents idéologiques. Vous imaginez un peu, je pense, le petit côté compassé, hollandais, de la bourgeoisie du XIXe siècle. Or, les textes colligés par le vicomte sont assez loin d'être de ceux qu'on peut confier sans crainte à une âme pure et pieuse. La verdeur des textes et leur propension à célébrer la révolte contre l'ordre établi ne pouvait que choquer le bourgeois de ces temps (le XIXe siècle est LE siècle bourgeois par excellence). 

Les sœurs Goadec intervenaient dans le documentaire pour la partie chant. L'une d'entre elles se rappelait ou essayait de se rappeler les paroles d'un chant sur lequel la questionnait Donatien Laurent. Elle chantait donc, et c'était captivant d'écouter la vieille dame débiter un long chant dans cette langue rugueuse et mystique qu'est le breton. Elle hésitait parfois, se reprenait. Sa voix n'était plus bien assurée, mais elle n'était pas là pour la performance vocale. C'est sa mémoire que l'on sollicitait, une mémoire aussi vieille que le druidisme et que ses magnifiques yeux reflétaient de manière saisissante. C'est cela surtout qui m'avait impressionné, la sensation, à la fois étrange et familière, d'être une fois de plus en présence d'un témoin millénaire, de ces personnes parfois très âgées qui portent en eux bien plus que leur propre existence, comme si l'histoire des hommes se transmettait chez certains par le sang. Il me parut alors que rien n'était plus précieux que le verbe. Aucun trésor archéologique ne valait une langue. Ma vocation, ce jour-là, fut confirmée. Moi aussi je me servirais de ma langue et je servirais ma langue. Je serais aussi, à ma façon, un passeur, un transmetteur... de mémoire, de sens, de beauté peut-être. 

La rude et vieille écorce des langues celtiques me semble un véhicule adéquat pour célébrer ce je-ne-sais-quoi de présence intemporelle et séculaire que j'appelle mysticisme, sans mettre là-dedans plus d'eau bénite et d'encens qu'il ne faut. Jean-Claude Bologne : « J'appelle mysticisme une expérience de mise en contact direct et inopiné avec une réalité qui dépasse nos perceptions habituelles, et que l'on peut ressentir tour à tour comme étant le vide ou l'infini. Cet infini étant assimilé à Dieu, le mysticisme s'est développé à l'intérieur d'une croyance religieuse. Mais d'autres absolus existent, qui justifient une approche athée. »

Je ne fais pas dans le celtisme échevelé et je ne révère pas le gui. Je ne connais de mes origines que le peu que la généalogie me permet de connaître. J'ai un nom, un physique aussi, des manières parfois rustiques, un côté âpre, un instinct de sanglier, une ténacité de menhir, un entêtement et une brusquerie qui fleurent le vieux guerrier celte aux aguets, pour ne rien dire de mon mysticisme sylvestre, de ma vision panthéiste du monde. Je ne veux rien croire, au sens des illusions. Je ne veux pas me prendre pour qui je ne suis pas. Je ne parle d'ailleurs pas de la personne, mais du monde que je porte en moi, comme un fardeau parfois, tel un fleuve si vieux qu'il pourrait se vanter d'avoir connu l'aube des temps, semblable à ces chants dont la source est trop profondément enfouie dans la mémoire des hommes pour en exhumer le substrat, à ces litanies sempiternelles qui d'un même souffle chantent et geignent, disent et racontent : la vie, la souffrance et la mort, l'errance et sa fille l'espérance.

C'est à des choses de ce type que je pensais sans doute, sans rien formuler, en regardant et en écoutant ce documentaire voici presque trente ans. Et ce sont probablement des ruminations de cette même eau qui m'y replongèrent voici deux jours, inconsciemment. Et l'Ar Rannoù (en français - en breton) déroule en moi ses redondants et mystérieux couplets... 

12 avr. 2012

Trois papys et un petit Poucet

Le plus grand résistant de la Résistance n'a pas résisté à l'insistance de l'irrésistible drôle qui gouverne les cieux. En effet, Raymond Aubrac est mort. On en fait tout un plat. Les journaux-qui-ne-dérapent-jamais publient sa bobine à la Une et prennent un magistral coup de vieux dans les dents, puisque l'estimable papy avait 97 ans. Pensez un peu, jeunesse de France et de Navarre, que ce digne soldat de l'ombre avait connu Jean Moulin et avait même été l'un des derniers à l'avoir connu vivant, exploit dont ne peut pas se vanter Stéphane Hessel ! Ça vous situe le personnage. Ça vous le projette en 3D en plein écran, et ça fait peur. Résister ça conserve, y a pas à dire. Quoi qu'il en soit, il passa l'arme à gauche. Ah, on me souffle qu'il y était déjà, à gauche. Eh bien l'y voilà pour l'éternité, et ce n'est pas volé. Réflexion goguenarde d'un ami : « On va peut-être pouvoir passer à autre chose... » Que Dieu l'entende.

Le même jour, et par une singulière ironie du sort, était annoncée discrètement la mort, deux jours plus tôt, d'un ancêtre un peu moins décati (92 ans), dont le nom pour la plupart n'existait en aucun endroit de la mémoire jusqu'à l'annonce de son décès. Le malchanceux avait nom François Brigneau, et c'était en quelque sorte l'exact opposé de Raymond Aubrac — si bien que, eût dit Jacques Brel, il sentait pas bon. La nouvelle de sa mort ne se répandit donc pas. La rubrique des chiens crevés fut son médiatique tombeau. Moi-même, je n'ai appris la nouvelle que grâce à la vigilance mortuaire d'amis sur Facebook, alors que je suis un bouffeur de presse (par mon assiduité, mais également à la manière agressive des bouffeurs de curés). CV brun à souhait pour cet ancien véritable collabo (il s'engage dans la Milice au lendemain du... débarquement allié !), cofondateur en 72 du FN. Vous sentez d'ici la charogne ? Ça pue, hein ? Je vous l'avais dit. 

Journaliste et éditeur, François Brigneau, sous divers pseudonymes, dont certains charmants (Mathilde Cruz, Caroline Jones), était surtout un écrivain de tout premier ordre (On aime Mathilde Cruz. On le dit. On estime que Brigneau reste l’une des meilleures plumes de ce pays. On le proclame. — Michel-Georges Micberth dixit, dans La lettre de Micberth en 84). Son Jean Moulin à lui s'appelait Robert Brasillach, qu'il admirait et côtoya à la prison de Fresnes. Il fut proche des Hussards, mouvement littéraire informel plus ou moins assimilable à l'anarchisme de droite. Il eut pour ami le très aimable Antoine Blondin qui fit de lui l'un des dédicataires de L'école buissonnière (sous le pseudonyme qu'utilisait alors Brigneau à l'époque, Julien Guernec). Bref, le CV d'un salaud, du genre de ceux qu'on n'étale pas sous les yeux des petits-enfants et arrière-petits-enfants de mononc' Hessel (des fois qu'ils passeraient de la courtoise indignation à la colère en nous mettant à l'Élysée celui qu'on n'a cure d'y voir, J.-L. Mélenchon). Sa mort fut donc évacuée par l'office et promptement oubliée.

Comme si ce n'était pas assez d'émotions, nous apprîmes hier matin la mort à Alger d'un troisième nonagénaire (95 ans), au CV presque aussi long qu'un séjour carcéral à perpétuité : celle de l'ancien et premier président de l'Algérie-plus-française, Ahmed Ben Bella (celui qui ajoute Bartók, je l'achève). Un dinosaure de plus au musée de l'Histoire. Le hasard manquant une fois de plus d'objectivité, Ben Bella meurt pas même un mois après les « célébrations » du cinquantième anniversaire des Accords d'Évian. Ne pouvant tout connaître, j'apprends en parcourant sa biographie que l'ancien chef du FLN a joué une saison (39-40) à l'Olympique de Marseille. Alors ça, c'est formidable. C'est formidable pour la transition que je vais faire. Je voulais consacrer à ce micro-sujet une note sur le ton de la prophétie, mais je vais le faire à la suite de cette nécrologie, puisque le hasard m'offre cette perche. 

Avez-vous vu ? L'US Quevilly, club de National (division 3), jouera la finale de la Coupe de France après avoir bouté hors de la compétition le club de Rennes (Ligue 1) en demi-finale, et l'Olympique de Marseille (Ligue 1) au tour précédent. Peu vous chaut, dites-vous ? C'est que, moi, je pense à autre chose. C'est une de mes marottes que de penser toujours à autre chose, d'essayer de voir au-delà du tableau, de palper un peu la cuisse tiède du destin, de projeter peut-être mes lubies et mes fantasmes sur le devant de la scène afin de les y voir jouer un rôle historique (j'aime que les choses n'aillent pas toujours comme on entend qu'elles aillent). Ce n'est pas la première fois qu'un petit Poucet (je justifie une partie du titre de ma note) s'illustre en Coupe de France (c'est un de ses charmes d'ailleurs). Voici trois ans, le club de Guingamp remportait une finale de Coupe 100% bretonne face au Stade Rennais, tout en étant pensionnaire de Ligue 2. Quevilly, c'est encore un plus petit Poucet, un David qui a terrassé deux fois déjà des Goliath. Qu'il perde ou non la finale contre l'ogre lyonnais n'empêchera pas qu'il s'est bel et bien qualifié pour une finale où personne ne l'attendait, dont ce club était exclu par le simple bon sens et la loi — théorique ici — du plus fort. 

Vous en faites ce que vous voulez, mais je pense à la compétition électorale en cours, dont les qualifiés pour la grande finale seront connus au soir du 22 avril prochain, finale dont on nous assure qu'elle opposera les deux plus grosses cylindrées de Ligue 1, Hollande et Sarkozy (l'ordre est alphabétique et non sentimental). C'est évident, garanti, presque officiel. Vous lisez bien la presse comme moi, non ? Ce l'est tellement que les éliminatoires du 22 avril ne seraient maintenues que pour amuser un peu la galerie (vous et moi, les enfants) et permettre aux états-majors respectifs des finalistes d'ores et déjà qualifiés de peaufiner leur tactique en vue du duel annoncé pour le 6 mai, jour de la finale. 

Allez un peu expliquer aux joueurs, à l'entraîneur, aux supporteurs de l'US Quevilly, qu'ils se sont gourés de réalité et que ce n'est pas Dieu possible qu'ils se soient qualifiés pour une finale où nul ne les attendait. Vous entendrez des vestiaires et du stade monter les rires de ces diablotins...

11 avr. 2012

Vidocq ressuscité !

La carrière de l'auguste Eugène-François Vidocq, dont le singulier parcours inspira les personnages de Javert et de Jean Valjean à Victor Hugo et celui de Vautrin à Balzac, n'est plus à rappeler. Ce n'est pas tous les jours ni même tous les siècles qu'un bagnard finit chef de la Sûreté. Eh bien, à en croire Le Point, le voilà ressuscité sous les traits de... Daniel Cohn-Bendit ! 

L'ancien trublion de mai 68, Dany le Rouge, vient en effet d'être nommé au conseil d'administration de la faculté de Nanterre (*), haut lieu des exploits protestataires du vieux cochon. 

De Gaulle dans sa tombe vingt fois se retourne et de rage douloureuse s'arrache le képi...

... Encore que l'on pourrait mettre tout ceci sur le compte d'une intégration réussie — le monsieur est Allemand —, d'un plan de réinsertion payant. Reste plus que les palmes académiques, le deuil national et l'hommage ému de la nation à ce pape décati de la contestation enfin rangé des pavés et des foules vociférantes...

9 avr. 2012

Des chiffres et des belettes

Je n'aime pas Jean-Luc Mélenchon. J'admire toutefois son audace, sa pugnacité, son volontarisme qui me rappelle celui du... général de Gaulle. Eh oui. De Gaulle était l'homme des schémas et des diagrammes. Il avait une ligne politique, un plan d'action général, des souhaits qui souvent étaient des ordres. Quand il exige en 1963 un strict équilibre du budget de l'état, il abandonne aux techniciens de son gouvernement — Giscard, son ministre des Finances, Pompidou, son Premier ministre — les moyens d'y parvenir. Qu'ils s'y cassent la tête ! Ce vrai chef n'était pas un comptable. À quoi sert-il d'avoir des domestiques s'il faut à leur place passer la serpillière ?

Ainsi, Mélenchon refuse le chiffrage de son projet. On le lui reproche. On le soupçonne d'en être incapable, d'avoir peur de ses propres chiffres et de préférer les tenir dans un tiroir, à l'abri du public et de la curiosité malsaine des journalistes. C'est possible, notez. Toutefois, je ne le crois pas. 

Voici ce qu'il disait en septembre dernier :

La question du chiffrage a toujours été pour moi un sujet d'ébahissement.

Et d'ajouter, faraud :

L'économie, c'est de la plomberie !

Sous-entendu : « Si je suis élu chef de l'état, je serai le plombier en chef, mes employés auront une feuille de route, un objectif, une direction à prendre, mais ils auront à déterminer eux-mêmes la manière d'y parvenir. »

De fait, si Mélenchon est élu, il saura s'entourer — on l'espère du moins — de techniciens, de comptables, d'experts qui chercheront comment, sans ruiner l'état (si c'est aussi l'un des objectifs du bonhomme !), on va pouvoir, par exemple, faire passer le SMIC de 1398 à 1700 euros, soit une augmentation de 21,6 %). Un tel projet relève de la sorcellerie, selon les « bons » économistes (ceux qui nient qu'on puisse faire les poches des capitalistes du CAC 40). A priori, vu d'ici, ce projet me semble effectivement démagogique à mort. D'un autre côté, si c'est démagogique dans l'intention, si ça sent le gros clin d’œil appuyé aux camarades accoudés au zinc, c'est peut-être faisable. Maintenant, est-ce souhaitable ? Non pour celui à qui on prendra cinq sous pour les offrir à un abruti en bleu de chauffe et casquette Ricard, oui cent fois pour ledit abruti, qui travaille pour de vrai, lui, au moins, se salit et s'esquinte les pognes à l'ouvrage.

Le volontarisme en politique est une qualité enviable... à condition toutefois de ne pas zapper le réel ! C'est là que je doute concernant Mélenchon, parce qu'il est de gauche et plus sensible à ses fantasmes politiques qu'à la rude réalité. On a rarement vu une politique généreuse de gauche ne pas se prendre très vite en pleine face le mur de la réalité, que ce mur s'appelle contraintes budgétaires, Europe ou menace d'inflation.

Quoi qu'il en soit — et pour lâcher un peu Mélenchon —, je trouve non seulement barbantes, mais ineptes, les discussions autour du chiffrage de telle ou telle proposition. Quand deux candidats se lancent leurs chiffres à la figure lors d'un débat, j'en profite pour aller pisser et me resservir un Four Roses de derrière les fagots. Si les chiffres intéressent les économistes, les banquiers et les trois journalistes qui s'y connaissent un peu, ils agacent l'auditeur ou le spectateur, c'est-à-dire, avant tout, l'électeur que l'on cherche à séduire. Quel homme normalement constitué est capable de se représenter une dépense ou une recette de six milliards ? Comment peut-il objectivement apprécier la différence entre six et huit milliards ? Et même, une « modeste » rallonge budgétaire ou une économie brute de deux-cents-cinquante millions d'euros ne lui parle absolument pas, pour la bonne et simple raison qu'il n'a jamais eu, n'aura jamais l'occasion de palper un tel pactole. Il sait juste que c'est beaucoup — trop. 

Il n'est pas donné à la plupart des hommes de se représenter le vide.