9 avr. 2012

Des chiffres et des belettes

Je n'aime pas Jean-Luc Mélenchon. J'admire toutefois son audace, sa pugnacité, son volontarisme qui me rappelle celui du... général de Gaulle. Eh oui. De Gaulle était l'homme des schémas et des diagrammes. Il avait une ligne politique, un plan d'action général, des souhaits qui souvent étaient des ordres. Quand il exige en 1963 un strict équilibre du budget de l'état, il abandonne aux techniciens de son gouvernement — Giscard, son ministre des Finances, Pompidou, son Premier ministre — les moyens d'y parvenir. Qu'ils s'y cassent la tête ! Ce vrai chef n'était pas un comptable. À quoi sert-il d'avoir des domestiques s'il faut à leur place passer la serpillière ?

Ainsi, Mélenchon refuse le chiffrage de son projet. On le lui reproche. On le soupçonne d'en être incapable, d'avoir peur de ses propres chiffres et de préférer les tenir dans un tiroir, à l'abri du public et de la curiosité malsaine des journalistes. C'est possible, notez. Toutefois, je ne le crois pas. 

Voici ce qu'il disait en septembre dernier :

La question du chiffrage a toujours été pour moi un sujet d'ébahissement.

Et d'ajouter, faraud :

L'économie, c'est de la plomberie !

Sous-entendu : « Si je suis élu chef de l'état, je serai le plombier en chef, mes employés auront une feuille de route, un objectif, une direction à prendre, mais ils auront à déterminer eux-mêmes la manière d'y parvenir. »

De fait, si Mélenchon est élu, il saura s'entourer — on l'espère du moins — de techniciens, de comptables, d'experts qui chercheront comment, sans ruiner l'état (si c'est aussi l'un des objectifs du bonhomme !), on va pouvoir, par exemple, faire passer le SMIC de 1398 à 1700 euros, soit une augmentation de 21,6 %). Un tel projet relève de la sorcellerie, selon les « bons » économistes (ceux qui nient qu'on puisse faire les poches des capitalistes du CAC 40). A priori, vu d'ici, ce projet me semble effectivement démagogique à mort. D'un autre côté, si c'est démagogique dans l'intention, si ça sent le gros clin d’œil appuyé aux camarades accoudés au zinc, c'est peut-être faisable. Maintenant, est-ce souhaitable ? Non pour celui à qui on prendra cinq sous pour les offrir à un abruti en bleu de chauffe et casquette Ricard, oui cent fois pour ledit abruti, qui travaille pour de vrai, lui, au moins, se salit et s'esquinte les pognes à l'ouvrage.

Le volontarisme en politique est une qualité enviable... à condition toutefois de ne pas zapper le réel ! C'est là que je doute concernant Mélenchon, parce qu'il est de gauche et plus sensible à ses fantasmes politiques qu'à la rude réalité. On a rarement vu une politique généreuse de gauche ne pas se prendre très vite en pleine face le mur de la réalité, que ce mur s'appelle contraintes budgétaires, Europe ou menace d'inflation.

Quoi qu'il en soit — et pour lâcher un peu Mélenchon —, je trouve non seulement barbantes, mais ineptes, les discussions autour du chiffrage de telle ou telle proposition. Quand deux candidats se lancent leurs chiffres à la figure lors d'un débat, j'en profite pour aller pisser et me resservir un Four Roses de derrière les fagots. Si les chiffres intéressent les économistes, les banquiers et les trois journalistes qui s'y connaissent un peu, ils agacent l'auditeur ou le spectateur, c'est-à-dire, avant tout, l'électeur que l'on cherche à séduire. Quel homme normalement constitué est capable de se représenter une dépense ou une recette de six milliards ? Comment peut-il objectivement apprécier la différence entre six et huit milliards ? Et même, une « modeste » rallonge budgétaire ou une économie brute de deux-cents-cinquante millions d'euros ne lui parle absolument pas, pour la bonne et simple raison qu'il n'a jamais eu, n'aura jamais l'occasion de palper un tel pactole. Il sait juste que c'est beaucoup — trop. 

Il n'est pas donné à la plupart des hommes de se représenter le vide.

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