24 avr. 2012

Message reçu et autres afflictions

Message reçu...

« Les électeurs nous ont envoyé un message », confie tel abruti, membre d'un parti autorisé. Sous-entendre : « Message reçu ! Nous allons vous lire avec la plus grande attention... patati... Veuillez agréer... patata... »

Patate ! Les électeurs votent, point barre. S'ils veulent envoyer des messages, des doléances, s'ils désapprouvent votre politique au point d'avoir envie de vous en toucher un mot, ils sont capables de le faire en ouvrant leur logiciel de mails afin de vous abreuver de remarques acerbes, de récriminations, de conseils un brin menaçants en vue des prochaines élections. Certains sont encore capables — oui ! — d'écrire une lettre avec un vrai stylo, de mettre cette lettre sous une enveloppe affranchie et d'aller la jeter dans une boîte du quartier. Vous saurez alors ce que c'est, un message. Vous saurez alors ce que veut exactement l'électeur, contre quoi précisément il grogne et récrimine — au lieu de lui prêter, vous qui êtes sourds, un vocabulaire de muet. Le type qui met dans l'urne un bulletin qui ne fleure pas la rose ou semble manifester d'inquiétantes réserves à votre endroit, il n'envoie ni message, ni signal. Il ne s'adresse pas à vous. Il fait un choix qui, par malheur, ne s'arrête pas sur vous. Cessez d'interpréter, messieurs, des signes qui n'en sont pas. Cessez de prendre les électeurs pour des estafettes vaguement rageuses. Cessez d'entendre lamentations et cris de souffrance derrière chaque vote dont vous êtes exclus. Si le peuple vous intéresse en dehors des échéances électorales, écoutez-le de janvier à décembre : il gronde assez pour vous permettre d'entendre et de comprendre que quelque chose cloche, et ce quelque chose n'est pas étranger à vous, aux soins que vous mettez à dépecer la vieille Europe, à envoyer ses peuples aux poubelles nauséabondes de l'histoire.

Autres afflictions...

Les gens qui jamais n'accélèrent au feu orange, qui ne traversent les rues que dans les clous, ne cracheraient par terre pour rien au monde, ne sont jamais tentés d'en griller une où c'est qu'on peut pas et n'ont en tête que des pensées parfumées, des opinions modérées et sans doute jouissent de positions sociales qui leur permettent de penser que tout va bien, qu'il n'y a pas lieu de trop se plaindre, de s'énerver, d'aboyer — ces gens cultivés hors sol et à distance des détritus, finissent toujours par prendre dans la poire une réalité dont ils ne semblent pas savoir qu'elle existe en dehors de leur petit monde aseptisé. La soirée électorale et les divers reportages effectués par les journaux parmi les militants sur le terrain, à chaud, nous ont permis de vérifier qu'il existe au moins trois galaxies de distance entre certains (eux) et d'autres (vous et moi). 

On se doute que le score atteint par Marine Le Pen n'a pas fait sauter de joie tout le monde. On trouve de tout comme réactions. Les embêtés font la moue, mais réfléchissent. Les effarés sautent de tous les côtés et ça me fait bien marrer. Les choqués ne sont pas encore sortis de leur tétanie. Les ulcérés, après avoir bien hurlé, sont partis en consultation chez leur stomatologue (v. note). Les paniqués n'osent plus sortir.

Voici une dame — Liliane, informaticienne dans une PME bordelaise et supportrice de l'incorruptible Eva J., semble-t-il — que le score de Marine Le Pen « flingue », selon ses propres termes. « On ne se doute pas qu'une personne sur cinq croisée dans la rue vote pour Le Pen », lâche-t-elle, tandis qu'on devine son air horrifié. On ne se doute pas que... Ben non, ma petite dame. C'est pas tatoué sur le front des gens qu'ils ont voté « Ça pue ». Un électeur du FN, contrairement à ce que vous croyez, à ce qu'on vous a raconté, ce n'est pas obligatoirement un type à l'aisselle qui se sent de loin, au regard torve de crapule, à la mâchoire crispée, au poing armé de quoi planter feuj ou rebeu ou renoi. Cette dame semble découvrir que les opinions politiques ne correspondent pas forcément à une typologie. Elle tombe de la Lune soudain et découvre l'Enfer. Stupeur : il ne ressemble pas aux gravures inquiétantes du Petit humaniste illustré. Qu'elle y retourne, sur la Lune, avec les Bisounours de sa communauté ! 

C'est là qu'on se dit que le matraquage médiatique et la propagande sont efficaces — efficaces, mais pas efficients. Les braves gens ont assimilé l'idée que l'électeur du Front National ne peut en aucun cas être quelqu'un de bien, de propre, d'urbain. Il doit ressembler à la bête qu'il est et en posséder les pires instincts. Il doit puer de la goule, avoir l’œil injecté de sang. Il doit n'aimer que la musique martiale, etc. 

Où le vote Front National est inquiétant, c'est en ce qu'il révèle la naïveté de gens comme Liliane, leur défaut de jugeote et d'imagination, leurs préjugés, leur inaptitude à réfléchir en dehors des saines limites tracées avec du sent-bon par les éditorialistes fréquentables. On leur a seriné que l'électeur du FN était un sale raciste tout frustré, tout haineux, tout barbouillé de sang : c'est pas vrai. On leur a donc menti ! Le mensonge était énorme pourtant et se devinait comme une trompe d'éléphant au milieu d'un visage.

Oh ! je sais : des clients ressemblant comme deux gouttes d'eau aux portraits officiels, il en existe. On se demande d'ailleurs s'ils ne font pas exprès, par mimétisme, de ressembler à leur portrait-robot. On doit bien trouver aussi chez les cocos des allumés de la faucille et du marteau, des collectionneurs de symboles nauséabonds, des admiratrices échevelées d'un Mao aux sourires aussi dégarnis que le front. Il est sûr aussi que l'électorat du PS doit héberger deux ou trois braves capitaines de gentils pédalos. Celui de l'UMP ne peut pas ne pas nourrir en son sein l'un ou l'autre capitaine d'industrie parfaitement dégueulasse, en plus d'être obscènement riche et d'un cynisme corrosif. On trouverait même chez les prêtres des croyants, en cherchant bien !

J'en connais une palanquée, des électeurs du FN — des électeurs convaincus du FN. Je les connais de loin, je les connais de près. Aucun ne m'a jamais mordu. Aucun ne semble vouloir mordre personne, d'ailleurs — mordre réellement, veux-je dire, au-delà des phrases écrites ou prononcées. Aucun ne sent quoi que ce soit de particulièrement fétide. Aucun ne sue le désespoir, etc. Je ne vais pas vous énumérer tout ce qu'ils ne sont pas, mais vous toucher un mot de ce qu'ils sont. 

Comme vous et moi, ce sont des hommes et des femmes de tous âges, de toutes conditions, issus de tous milieux. Beaucoup sont extrêmement cultivés et d'un commerce agréable. Ils sont irrésistiblement drôles souvent, avec un sens aigu de l'ironie. Ils aiment comme vous et moi des choses parfois délicates : les sourires, les aurores, les mots d'enfants, les courbes des femmes, les grâces du papillon voletant de rose en pivoine, la tendresse d'un vieux chien, etc. Au-delà de leurs goûts, pareils aux vôtres, ils possèdent de vraies racines et les cultivent. Ils aiment la terre de leurs ancêtres comme on aime une mère. Ils aiment leurs églises et leurs cimetières. Ils aiment moins les symboles de leur patrie que la chair même de leur patrie : son histoire, ses riches et sombres heures. Ils sont hommes et femmes de mémoire, et de mémoire filiale. Plus que vous, ce sont des héritiers. Ce que leurs pères (les vôtres, les nôtres) leur ont légué, ils veulent le conserver — le conserver, non le figer. Ils veulent eux aussi pouvoir, demain, léguer à leurs enfants le lopin de terre de leurs ancêtres, qu'ils auront par leur labeur amendé, ensemencé, comme avant eux l'ont fait leurs pères. Cette glèbe parfois ingrate qu'ils retournent et moissonnent, ils n'en peuvent plus de la voir chaque jour piétinée par des hordes étrangères invitées et hébergées à grands frais par des élites pour qui le peuple n'est plus un pays mais une main-d’œuvre interchangeable, une collection de zombies parfaitement modulables et intégrés, privés de mémoire, puisque privés d'histoire, surgissant de partout, donc de nulle part. 

Voilà pourquoi, si nous ne sommes pas méchants, nous sommes dangereux — pour vous.

——————————
NoteLapsus memoriae. Comme le signale ci-dessous dans son commentaire Didier Goux, que je remercie pour sa vigilance, le patient ulcéré devrait consulter un gastro-entérologue plutôt qu'un stomatologue

5 commentaires:

  1. Votre avant-dernier paragraphe est remarquable ! Ce qui ne veut pas dure que les autres ne sont pas bons.

    RépondreSupprimer
  2. Je me demande si votre ulcéré, là, n'aurait pas intérêt à consulter plutôt un gastro-entérologue…

    (Sinon, même louanges que Messire Estienne, quant à ce billet.)

    RépondreSupprimer
  3. Estomac... stomacal... stomatologue... pan t'es mort !

    Pour ma punition, je ne corrige pas. J'ai ajouté une note en bas de page.

    Merci pour la correction (j'en ai encore les fesses rougies) et pour l'appréciation (j'en ai les joues roses encore).

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Cela dit, il est peut-être possible de souffrir d'un ulcère de la molaire…

      Supprimer
  4. Elisabeth Lepidi5 juin 2012 à 02:14

    Tout est dit dans ce REMARQUABLE billet, et il est plus que temps, en effet, de faire connaître qui sont ces haineux du FN qui offusquent ces braves gens des autres partis, parangons de toutes les vertus françaises et défilant lors de tous les Carnavals de la Terre derrière leur masque enfariné.

    RépondreSupprimer