21 avr. 2012

Monologue dialogué

J'étais assis au bord de ma piscine, hier après-midi, quand je me surpris à me poser un tas de questions, et à y répondre ! J'appuyai sur la touche rec de mon fidèle dictaphone... Je fus bavard...

— Quels seront les deux qualifiés dimanche soir ?
— Hollande et Sarkozy, dans cet ordre.
— Ce n'est pas très original...
— La question ne l'était pas non plus.
— Le duel idéal, selon toi ?
— Oh non ! Ce n'est que le plus prévisible.
— Et quel aurait été pour toi le duel le plus original ?
— Question sans intérêt. 
— Je la formule autrement alors : le duel qui t'aurait le plus excité ?
— J'aime mieux ça... Le Pen contre Mélenchon. 
— Pourquoi ?
— Pour voir sauter de tous les côtés les poules effarées des médias. Et de un.
— Et de deux ?
— Pour la bagarre. Ce serait saignant à souhait. 
— Qui l'emporterait ?
— Mélenchon, obligatoirement.
— Comment ça, « obligatoirement » ?
— Hitler ne peut pas gagner contre Staline. C'est interdit. 
— Hitler... Staline... De bien gros mots...
— C'est caricatural, bien sûr. Quoique, pour Mélenchon...
— Terrain fangeux. Sortons de là. 
— Bien volontiers.
— Revenons à ce duel partout claironné. Qui l'emporte ?
— Hollande sans doute, d'une courte tête.
— D'une courte tête seulement ? On l'annonce grand et large vainqueur un peu partout.
— « On » ferait mieux de comprendre que le second tour est une tout autre compétition.
— Tu vois donc Sarkozy capable de refaire presque tout son handicap ?
— Que sait-on au juste de ce handicap ? Les pronostics pour le second tour sont de toute évidence un magistral fake.
— Sondages manipulés, entends-tu ?
— Non. Sondages peu fiables. On demande à des gens de s'exprimer sur une éventualité, pas sur des faits. Or, les faits, c'est que nous ne connaissons pas encore les noms des deux qualifiés.
— Toi-même, cependant, tu t'es prononcé. Tu n'envisages pas une surprise, apparemment.
— Non, mais quand les deux qualifiés seront connus, même si ce sont les deux noms que tout le monde a en bouche, ce sera une autre histoire.
— J'ai du mal à comprendre...
— En prenant les meilleurs des sondages pour la gauche entière et en offrant à Hollande, pour le second tour, toutes les voix qui semblent acquises aux candidats de gauche, il n'arrive pas à 50%. Le report des voix de gauche ne sera donc pas prépondérant. Au petit jeu des reports de voix, je vois plutôt Sarkozy en tête, parce que Marine le Pen fera entre 18 et 20%. Hollande, pour atteindre le score burlesque annoncé (56 ou 57%), doit pomper la quasi-totalité des voix recueillies par Bayrou. C'est impossible. 
— Toutefois, les sondages...
— Je pense que l'électeur de Bayrou n'a pas envie que Sarkozy soit réélu. C'est pour cette unique raison que, après avoir voté pour Bayrou au premier tour, il reporte son choix sur Hollande pour le second, mais il le fait comme moi qui, de loin, mettrais bien une baffe à Untel, mais reviens en sa présence à plus de raison. Par là je veux dire que choisir Hollande au second tour, pour un électeur de Bayrou, alors que le premier tour n'a pas encore livré son verdict, c'est un leurre. Quand il faudra effectivement choisir entre Hollande et Sarkozy, la raison lui reviendra et il choisira, avec répugnance, certes, de voter pour Sarkozy, dont il sait bien qu'il appliquera pour la France une politique moins désastreuse que celle de Hollande. C'est le pari que je fais. Itou pour ceux des électeurs de Marine Le Pen qui prétendent préférer Hollande à Sarkozy. C'est pure folie que de préférer Hollande à Sarkozy si on pense à la France — à la France et non à soi-même, à ses affects. Ce premier tour est une question d'affects. Comprends-tu mieux, là ?
— Un peu mieux. Sauf que... sauf que tu fais le pari, tout de même risqué, du bon sens, de la raison.
— Et je n'ai aucune preuve que le bon sens l'emportera, nous sommes d'accord.
— En dehors de ce que feront ou ne feront pas ensuite les électeurs dont le candidat sera éliminé dimanche soir, penses-tu que Sarkozy puisse, seul, refaire une partie au moins de son handicap, si handicap réel il y a et quelle que soit l'ampleur de ce handicap ? 
— C'est évident. Le débat télévisé aura une importance capitale, une fois de plus. Mais pas au point de renverser la vapeur si Sarkozy est donné large perdant... sauf coup de Jarnac ! Malgré le battage médiatique, beaucoup de Français suivent la campagne de très loin... parfois de très, très loin. 
— Les Français expatriés ?
— Pas du tout. Récemment, je lisais un reportage effectué dans la file d'une C.A.F. en province. Une dame disait qu'elle allait voter... Chirac ! Une semaine avant le premier tour, voici une électrice qui ne sait même pas, apparemment, que non seulement Chirac n'est pas candidat, mais qu'il n'est plus président depuis cinq ans ! Un cas, me diras-tu. Oui, mais révélateur. Un tas d'électeurs, les moins politisés, ceux qui s'en foutent un peu et ne font pas la différence entre un cheval et un âne, ne s'intéressent pas encore à l'élection. Mais ils regarderont le débat, exactement comme ces gens qui se moquent du foot mais regarderont quand même une finale de Coupe du Monde que la France dispute. Ils regarderont le débat comme on va au marché, pour choisir entre deux salades la plus appétissante ou la moins fripée. 
— Et Sarkozy leur paraîtra plus appétissant, selon toi ? Sur quels critères ?
— Gauche ou droite, ces gens fort peu ou pas du tout politisés s'en foutent. Ils n'ont d'ailleurs qu'une vague idée des différences. Ils s'en foutent, tout en ayant du respect pour la personne du président, quel qu'il soit. Les petites gens ont un respect inné pour ceux qui incarnent l'autorité. Or, le président, c'est Nicolas Sarkozy. Pour ces gens-là, c'est quelqu'un, le président ! On peut ne pas l'aimer, tout en le respectant. Je me souviens d'un village où c'est le comte qui régentait tout. Il était le gros propriétaire foncier du coin et le plus gros employeur. Il était en outre assez peu sympathique, se croyant encore sans doute au temps des Louis. Le dimanche, il se rendait à l'église en famille et en calèche. Je veux dire : sa famille dans la calèche, lui devant sur son cheval. Il portait la cravache et l'air revêche. Au village, les gens le haïssaient. Il y avait de quoi ! Le comte eut un jour des ennuis à cause de malversations financières liées à des terrains. Tu penses que tout le monde lui tomba dessus ? Au contraire ! Attaqué par l'état, le comte n'eut que des défenseurs au village. On le détestait dans le cadre du village, on ne jurait que par lui à l'extérieur. En attaquant le comte, c'est eux qu'on attaquait. Les villageois n'étaient pas peu fiers, dans le fond, de leur comte.
— Es-tu en train de dire que rien n'est perdu pour Sarkozy ?
— Sa situation semble trop précaire pour espérer mieux qu'une courte défaite, mais ce sur quoi je tenais à mettre l'accent, c'est sur des données un peu irrationnelles, mais en apparence seulement, que personne ne songe à prendre en compte. On fait comme si tout le monde s'y connaissait en politique, comme si tout le monde ne cessait, comme nous le faisons, d'analyser la situation, comme si chaque électeur avait de réelles convictions.
— Ce second tour et ce débat va donc permettre au président de... de quoi, au juste ?
— De remettre à l'heure les pendules. Il n'est pas qu'un candidat. Il est avant toute chose le président. Hollande n'est rien du tout. Quand ce dernier va se retrouver en face de Sarkozy, on va bien voir qu'un truc cloche, qu'il n'a pas l'étoffe d'un président. Considère seulement sa tête la plupart du temps : ses sourcils sont haussés. Signe de l'impuissance, du désarroi. Il semble toujours sur la défensive, offusqué. Quand on l'attaque, il souffre. Sarkozy, lui, a les sourcils froncés d'un décideur. C'est un homme offensif. Se battre, il adore ça. Il ne va pas se priver de démolir le falot, surtout si la cause semble perdue. Il va jouer son va-tout. Hollande, il va l'atomiser.
— Pour rien, puisque tu le vois perdant, même si c'est de peu... Un coup dans l'eau, donc.
— Si j'avais de l'argent à perdre, je miserais tout de même quelques gros billets sur le cheval donné battu.
— Le bilan de Nicolas Sarkozy... Aussi catastrophique que dénoncé ?
— Bien sûr que non. Les circonstances étant données (la crise financière), il a fort bien agi. Il est allé au front. La France ne va pas bien, mais elle résiste.
— Que lui reproche-t-on alors ?
— On reprochait à Chirac, que les gens aimaient bien comme on aime son Papy, de ne rien faire. On reproche à Sarkozy d'en faire trop, d'occuper tout l'espace, avec des tics et des manières de marionnette. Il est horripilant à cet égard, c'est indéniable. On l'a assez vu. Si Hollande gagne, que ce soit de justesse ou largement, ce ne sera pas une victoire de Hollande mais une défaite de Sarkozy. Beaucoup de gens vont voter Hollande contre Sarkozy. Et dans moins de six mois ces gens crieront : « Sarko, reviens ! » Je pense que certains redoutent déjà d'avoir à regretter bientôt Sarkozy. Mais c'est plus fort qu'eux, ils ne peuvent plus l'encadrer. Il ne s'agit pas pour ces gens d'élire Hollande, mais d'éliminer Sarkozy.
— Toi-même, que lui reproches-tu ?
— D'être tout de même assez vulgaire. Il m'a fait honte le soir même de son élection, quand, quelques jours plus tôt, lors du débat avec Royal, il m'a presque fait pleurer de joie quand j'ai compris qu'il avait gagné. Je bondissais dans mon fauteuil comme si on venait de gagner la Coupe du Monde !
— Quel romantisme !
— J'ai un côté très crétin...
— Et donc, le soir de son élection... ?
— ... je vois un parvenu se pavaner comme un jars, roulant carrosse, très occupé à pérorer au téléphone, comme le premier imbécile venu qui aurait décroché le bac et recevrait des félicitations de tout son clan. À côté de lui, ses deux belles-filles, pendues aussi à leurs portables. C'était ça, le président...
— C'était une belle victoire. Il était en droit d'être joyeux. Le rêve de sa vie était accompli.
— Il avait le droit surtout de commencer à faire le président ! Les plus grandes joies sont intérieures. Il fêtait ça comme le gars qui vient de remporter le Tour. Or, il venait simplement d'être appelé au départ. Le Tour, il allait le courir pendant cinq ans. Il aurait donc dû être un peu plus solennel, ayant conscience de la lourde tâche pour quoi les Français l'avaient élu. Il pouvait toujours fêter ça comme il voulait dans l'intimité, loin des caméras. Et danser tout nu sur la table s'il voulait, sur des airs populaires.
— Le Fouquet's ?
— Je m'en fous un peu. C'était une soirée privée. Stupide, mais privée.
— Tu as aussi des reproches politiques à lui faire, j'imagine. Quels sont-ils ?
— On sait bien qu'un président ne peut pas tenir toutes ses promesses et qu'il sait lui-même sans doute celles qu'il ne tiendra pas, parce qu'il les a faites pour séduire des électeurs peu emballés sinon. Ainsi, ceux qui ont cru ou feint de croire que Sarkozy allait nous ramener au temps de Pétain sont des imbéciles d'un calibre exceptionnel. Je pense à Noah, à toutes ces têtes à claques du show-biz qui songeaient sérieusement (?) à quitter la France, parce que dans leurs têtes ils entendaient le martèlement lugubre des bottes. Était-ce ridicule, mon Dieu ! Si j'ai cru que Sarkozy serait ferme sur les questions de sécurité et des racailles, je n'ai jamais cru à ces histoires de Kärcher. Je n'ai donc jamais eu peur de Sarkozy, n'ai jamais douté qu'il était un démocrate, bien davantage que Ségolène Royal, soit dit en passant.
— Jusqu'à présent, tu reproches plus de choses à ses adversaires qu'à lui-même...
— J'y viens... L'ouverture à gauche, quelle déception ! Et quelle horreur ! Un président issu d'une droite qu'on disait dure, fort bien élu, qui était de droite sans complexe, enfin !... et qui nous met au gouvernement des gugusses de l'autre camp ! Kouchner aux Affaires étrangères ! Un ministère régalien pour ce concentré de tiédeur, ce prélat tiers-mondiste ! Les Amara, Yade et autre Dati, dont aucune n'avait jamais affronté le moindre suffrage universel et que le président a choisies pour prouver aux perdants de l'élection qu'il n'était pas raciste, en plus de n'être pas sectaire. Il nomme Dati à la Justice ! Ça ou jeter une bombe dans une église, c'est du pareil au même. La dame avait certes des qualités intéressantes, en plus d'avoir un charme évident, mais s'il fallait donner un poste à cette néophyte, ce n'était pas le bon. Naturellement, le truc lui est monté à la tête et il fallut l'écarter. Erreur de casting...
— Aucun ministre ne trouve donc grâce à tes yeux ?
— Si. Alliot-Marie à l'Intérieur, ce n'était pas un mauvais choix. Fillon à Matignon était un excellent choix. Lagarde à l'Économie était un choix audacieux et parfait. On ne pouvait pas lui reprocher son incompétence, à celle-là. Et Darcos à l'Éducation nationale me plaisait bien, il en voulait, n'était pas sans courage, jusqu'à ce qu'on lui demande de retirer un projet majeur sous la pression de lycéens boutonneux !
— Finalement, tu reproches plus à Sarkozy le choix de ses acteurs que son scénario...
— Les questions purement économiques m'échappent un peu. Je pense que la réforme des retraites était une nécessité et qu'il fallait du courage pour la conduire jusqu'au bout, encore que je la trouve assez timide, dans le fond. Mais bon, en France, dès qu'on touche au social, ça gueule... Ce que j'ai détesté par-dessus tout, c'est la ratification par le Parlement du Traité de Lisbonne. Cette manière de faire passer en force un texte que les Français avaient rejeté unanimement... ! Pour un héritier du gaullisme, je trouve ça... !
— Sarkozy n'a pas trahi son électorat sur ce coup-là. La ratification du Traité par la voie parlementaire était dans son programme.
— Oui, oui, oui, je sais... Il n'a pas tenu d'autres promesses : il aurait pu ne pas tenir celle-là non plus. Il aurait pu décider que, non, finalement, il demanderait leur avis aux Français par voie référendaire. C'eût été risqué peut-être pour ce partisan du Traité, mais noble.
— D'autres griefs ?
— la façon dont il a traité Fillon au début et pendant un bon moment d'ailleurs : infect ! Traiter son Premier ministre de collaborateur ! Un valet, quoi ! Non, franchement... ! Le pauvre Fillon a dû en avaler plus d'une, de couleuvres. Je l'aime bien, Fillon. Qu'il ait tenu cinq ans à sa place est un miracle en soi. Il n'est pas expansif, c'est le moins qu'on puisse dire, mais il fallait je crois un caractère bien trempé pour résister à ce qu'il faut bien appeler du mépris. Certains y ont vu la preuve que Fillon n'était qu'un laquais, un torchon. J'ai la faiblesse de croire qu'il est plutôt trempé, comme l'acier du même nom. Fillon n'a jamais déraillé.
— Est-ce tout ?
— Presque... Agacé m'a le Sarkozy joggeur, le Sarkozy-Bobet sur son vélo ! Ridicule ! Que le président fasse du sport, entretienne sa forme, pourquoi pas ? Qu'il le fasse discrètement ! Il n'y a pas de salle de fitness ou je ne sais quoi du genre à l'Élysée ? Imagines-tu le grand de Gaulle, le gros Churchill, en short et baskets, suant comme des malades en compagnie de leurs gardes du corps sous un soleil de plomb ?
— Je l'imagine bien, non sans rire, de fait... À propos d'imagination... Nous sommes le dimanche 6 mai, il est 20 heures et Hollande est annoncé vainqueur de l'élection... Que se passe-t-il ?
— Nous rions pas mal pendant quelques semaines, de bon cœur. Ensuite les larmes coulent, coulent... mais ce ne sont pas des larmes de gaieté... Ce sont des larmes d'abattement, de colère... Parce que si nous rions des prévisibles bévues et autres culbutes du Bisounours en chef, nous pleurerons quand nous réaliserons que ce n'est pas du théâtre et que nous sommes au cœur d'un ouragan avec à la barre un capitaine d'opérette, à peine qualifié pour déplacer de vingt mètres un pédalo... Mais j'ai prévu l'impensable, une grimace inopinée du diable, un rebondissement de l'intrigue...
— Comment cela ?
— En juin, il y aura les législatives... Hollande ne va pas rigoler avec Mélenchon. Hollande aura besoin d'un maximum d'élus. Il a déjà, sottement, abandonné aux Verts plus de 60 circonscriptions ! Les Verts avec Eva Joly comme candidate vont faire 3%, 3,5%. Mélenchon, lui, sera entre 13 et 15%. Les négociations pour les législatives vont être explosives. Hollande voudra lâcher le moins possible. Mélenchon ne se contentera pas des mégots. Je crois cet ambitieux capable de présenter et de maintenir partout où c'est possible des candidats du Front de gauche contre le PS. Nous nous retrouverions alors avec des centaines de triangulaires et de quadrangulaires (UMP, FN, PS, FG) potentiellement mortelles pour le PS. La droite pourrait ainsi tirer son épingle du jeu et mieux que cela. Le scénario du diable, ce serait que Hollande se retrouve dès juin à devoir cohabiter jusqu'au terme de son mandat !
— Mélenchon prendrait ce risque-là, crois-tu ?
— Oui. Il n'aura pas deux chances comme celle-là. S'il est le révolutionnaire qu'il semble être, au moins de la gueule, il fera tout, même ça, pour emporter la mise en 2017. Avec la dynamique qui sera la sienne au soir du premier tour, ce dimanche, il doit entrevoir la possibilité historique de mettre à genoux le PS, de l'envoyer dans les roses. Rien que pour ça j'espère qu'il fera un haut score, dans les 15 ou 16%. J'attends la suite avec une gourmandise dont tu n'as pas idée !

2 commentaires:

  1. Excellent papier !

    Bon, attendons de voir...

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  2. Je souscris entièrement à cette analyse. Exception faite, peut-être, du score que vous attribuez à Joly, que je trouve surestimé. Mais bon : rendez-vous ce soir.

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