7 mai 2012

Bastille, 6 mai 2012

Reportage à chaud de mon ami Nico de Montreuil sur Facebook hier soir, publié avec son autorisation.

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Bastille, ce soir. Sur le quai du métro, déjà des cris. Nous croisons un groupe d’Africains qui monte en vitesse dans la rame en criant : « Sarko en prison ! ». La progression dans le couloir est très difficile, l’ambiance électrique. Les agents de la RAPT sont sur le côté, nerveux. Un Beur les nargue : « M’sieur, m’sieur, mon pote, il a pas de ticket ! Vous faites rien ? ». Sourires crispés. C'est le genre de fête qu'on craint de ne plus parvenir à maîtriser. Un homme en bonnet phrygien s’adresse aux CRS en prononçant le nom de Sarkozy. Le CRS n’a pas compris, lui demande de répéter, pour s’assurer qu’il ne vient pas de se foutre de sa gueule. Il vient de le faire certainement, mais que faire dans ce chaos ?

Nous sortons enfin. La foule est très diverse. Je réalise alors que je n’ai aucune chance d’approcher la colonne de la Bastille. J'espérais prendre de belles photos des drapeaux algériens et autres que vous avez tous vus à la télé.

La grande majorité des drapeaux sont partisans : drapeaux rouges du Front de gauche-PCF, Verts, PS. Viennent ensuite les drapeaux communautaires : pays d’origine des immigrés, drapeaux multicolores, puis ceux de l’UE. Enfin, il y a les drapeaux français tenus par des Blancs, mais aussi par des « issus de ».

Surprise, j’entends une Marseillaise assez véhémente. Je m’approche. Un groupe de jeunes gens pas vraiment vêtus comme des gauchistes. Ils crient : — « Vive la France ! » de toute leurs forces. Ces sont des FN ou des UMP, venu prendre une revanche symbolique, en se faisant passer pour des socialos. J’en croiserai d’autres dans la foule, aisément reconnaissables, car ils observent attentivement ce qui se passe autour d'eux. Je m’approche un peu de la scène. La chanteuse Anaïs. On n’entend rien, pas une note. La sono est insuffisante. Je déteste cet endroit, cette foule, le bordel qui règne partout dans une ambiance Barbès. Et surtout cette haine qui partout s’étale, victorieuse, indécente ; on ne compte plus les slogans anti-Sarko, particulièrement venant des Blacks-Beurs : « Casse-toi pov’con », « Naboléon. »

Soudain, une clameur. Martine Aubry apparaît à l’écran. De l’endroit où je me trouve, on n’entend toujours rien. Les blagues désobligeantes sur son physique fusent.

Je me souviens, cinq ans auparavant, place de la Concorde. La foule joyeuse, calme, qui commence tranquillement à huer les socialistes, et Sarkozy qui les arrête au nom du respect dû aux électeurs, et la foule qui se tait, aussitôt. Je me souviens de la foule fervente et tranquille du Front National, l’autre jour.

Quel contraste avec le déchaînement de haine de ce soir ! Je n’avais pas besoin qu’on me le démontre, mais c’est toujours impressionnant de le constater : la gauche, si convaincue d’incarner le Bien, n’aime rien tant que crier sa haine contre le Mal.

J’en ai ma claque de cet endroit. Et je ne parviens pas à prendre de bonnes photos, trop de mouvements partout. Il me faudra encore une demi-heure pour sortir de la foule. Je suis au-delà de l’écœurement. Nous sommes en France, le jour de la plus grande élection, et personne autour de moi n’a l’air étonné de voir des drapeaux étrangers. On a honte pour les leaders du PS qui s’expriment et dont je vois les visages sur l’écran derrière moi. Oui, il y avait Chirac en 2002, mais ils pouvaient dire alors qu’il y avait un « contexte » particulier. Maintenant, c’est simplement une habitude.

Je quitte la place au son des tam-tams. Une groupe devant moi scande : « On va s’ma-rier ! » sur l’air de « On a ga-gné ! » Plus tard : « Sarko, t’es foutu, les pédés sont dans la rue ! » Les passants sourient. Dans un café, des Arabes d’âges mûrs, assis, écoutent, l’air sombre. Ils n’aiment visiblement pas ce genre de provocations. On dirait qu’ils pensent : « Quant nous serons majoritaires, il faudra remettre de l’ordre ici. »

Les lendemains de fête risquent d’être rudes.

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