3 mai 2012

Donald Duck et le roi Lion

J'ai certes un préjugé assez peu favorable envers le candidat socialiste, sans être un aficionado du président sortant. J'ai regardé le débat d'hier sans rien attendre de neuf sur le plan des projets. Ni l'un ni l'autre des prétendants n'allaient évidemment nous sortir de sa boîte magique un quelconque sésame pour des lendemains qui chantent. Ils étaient comme deux coqs se disputant la suprématie sur la basse-cour. J'attendais que le coq élyséen cogne et démolisse le béjaune hollandais. J'attendais de voir les plumes voler et battre en retraite l'inexpérimenté coquelet corrézien. Je l'ai surtout vu s'étrangler, entendu piauler. Sarkozy n'a pas démoli son adversaire, mais il l'a bien rossé tout de même par endroits. En tous cas, je l'ai trouvé ferme et consistant.

À lire les réactions ce matin, je me demande si certains ont vu le même débat que moi. Hollande aurait gagné selon le clan de gauche. Mélenchon nous apprend que « Hollande a plié Sarkozy en quatre ». Je pense qu'il s'est endormi pendant le débat et a beaucoup rêvé. Les éditorialistes refusent de décerner le pompon à aucun des protagonistes. À droite, le chef a bien parlé.
 
J'ai regardé ce débat en essayant de me placer dans la peau d'un électeur déterminé à choisir un vrai chef pour les cinq prochaines années, dans un contexte de crise nationale (identitaire) et internationale (financière). Un chef, n'est-ce pas, c'est un homme qui saura prendre les décisions que la situation impose. Si son état-major se déchire sur la décision à prendre et/ou quant aux modalités de l'action à mener, il tranchera dans le vif, sans états d'âme. Si demain un déséquilibré balance une grenade dégoupillée dans son bureau, il ne convoquera pas une commission ad hoc afin de savoir quelle attitude observer. En cas de conflit, de tensions internationales, il fera preuve d'autorité et non de compassion. Toujours, pour lui, primera l'intérêt de son pays. Les décisions qu'il sera amené à prendre ne répondront pas forcément à une grille idéologique. S'il doit être constant, il ne sera pas borné. Il sera donc pragmatique et non dogmatique. Ce côté girouette que j'ai entendu Hollande reprocher à Sarkozy est justement un effet de ce pragmatisme. Sarkozy peut avoir été ou être encore, à titre personnel, pour que les étrangers puissent voter lors de scrutins locaux (sous certaines conditions et sous réserve de réciprocité de la part des pays d'où ils proviennent), et ne plus l'être en tant que président, pour avoir compris que ce ne pouvait être là une heureuse perspective dans le contexte de crise identitaire que nous connaissons, avec au surplus un Front National à 18%.

Analysons un peu les attitudes. Nous avions d'un côté, à gauche, un Hollande décidément raide, mal assis, le buste vers l'arrière, comme qui cherche à esquiver des coups. On a pu le voir à maintes reprises modifier sa posture, comme s'il se rappelait soudain les directives de son coach. Il ne s'est jamais retiré par contre le parapluie qu'il s'était enfoncé dans le cul avant de pénétrer dans le studio. Je l'ai trouvé aussi peu naturel que possible, tout boursouflé d'une dignité d'emprunt. Un homme gourmé et boutonné.
 
À droite, Sarkozy, quand il ne gesticulait pas, avec ces frénétiques et bizarres mouvements des épaules qu'on lui connaît, se tenait la plupart du temps vers l'avant, à l'offensive donc. C'était frappant. Certes, il ne m'a pas échappé qu'il cherchait sans cesse l'approbation des journalistes. Certains commentateurs interprètent cette attitude comme celle d'un homme peu confiant. Je ne suis pas de cet avis. Quoi de plus naturel en pareil cas de prendre à témoin les personnes présentes, même si leur rôle est de demeurer neutres ? Hollande, lui, n'a jamais eu le moindre regard pour les journalistes. Il les a ignorés d'un bout à l'autre du débat. Et savez-vous pourquoi ? Parce que Hollande, qui récitait une leçon de toute évidence apprise, ne voulait pas être perturbé par d'autres regards que celui de son adversaire. On lui avait recommandé de soutenir le regard de Sarkozy et c'était bien assez pour lui. Il y est parvenu, mais ce regard était d'un caniche peureux, d'un tendre cabot tout désolé qu'on ne prenne pas trop au sérieux ses grands airs républicains, tout marri qu'on ne veuille pas au moins lui accorder le bénéfice de la gentillesse et de la bienveillance. Avez-vous comme moi observé cet œil gelatineux ? Avez-vous vu là l’œil d'un aigle ou celui d'une morue depuis trois jours à l'étalage d'un poissonnier ? Que le candidat socialiste ait moins le physique d'un guerrier que celui d'un bourgeois sortant de table après avoir un peu trop bâfré est une chose. L'apparence dit beaucoup, mais elle ne dit pas tout. On peut être rond au physique et pointu au mental. On peut avoir une tête de chien et une bravoure de lion. On peut n'avoir l'air de rien et être quelqu'un. Que le futur chef de l'état ait l'œil aussi peu vif et dénué de toute intelligence est une disgrâce et un ridicule pour le pays qu'il pourrait gouverner.

Attitudes, gestuelle, regards... et voix ! Hollande n'a rien pour lui décidément. Une voix de canard cuit, ai-je spontanément pensé. Comment, nanti d'une voix aussi désagréable, peut-il espérer séduire ou convaincre ? Hollande ne sait que piailler. Il s'exprime comme si on lui avait marché sur la queue, comme si on lui tenait la couille entre les mâchoires d'une pince. La voix d'un homme qui ne crie jamais, n'impose jamais ses vues. La voix de qui s'alarme d'un rien, craint son ombre. La voix de qui vous voudrez, sauf celle d'un chef. Or, c'est un chef que les Français éliront dimanche et pas le président du comité des fêtes. Ce chef sera pour cinq ans amené à diriger la France (et non une chorale de vieilles filles), à défendre ses intérêts partout dans le monde, à lui conserver son rang et un prestige déjà bien mal en point. Il lui faudra croiser le fer parfois avec les chefs d'autres puissances : Merkel, Obama, Hu Jintao, Poutine, etc. Vous imaginez Hollande en face de Poutine ? Vous l'imaginez dire et redire Niet ! à Poutine, en russe dans le texte, le regard planté dans le sien, le poing heurtant la table ? Vous le voyez cherchant à convaincre le Chinois hilare de réévaluer le yuan ? Si oui, alors vous avez une imagination puissante et un sens aigu du comique de situation. 

J'ai essayé tout au long du débat de juger les protagonistes en me plaçant dans la perspective d'un chef à élire tout en me glissant dans la peau d'un électeur hésitant. Entre le chef actuel et son challenger, il n'y a qu'un choix possible si on pense à la France et non à la sympathie ou à la répulsion qu'inspire le visage ou les manières d'un des candidats. Ce choix, c'est Sarkozy. Hollande, qui se sait peu inspirant, peu susceptible de soulever l'enthousiasme des foules et dont le programme est extrait, sans dépoussiérage, des fonds patrimoniaux du socialisme, a axé toute sa campagne sur le rejet de Sarkozy. Il a moins défendu son projet que pilonné le bilan de son éventuel futur prédécesseur. Quoi que Hollande et ses sbires disent, s'il y a rejet du bonhomme Sarkozy, sa politique n'a pas été tellement que ça rejetée. Pour un président que tout le monde déteste, réaliser un score de 27,18% lors du premier tour est une prouesse. C'est 4% tout juste de moins que son score de 2007, mais c'est 1,31% de plus que Ségolène Royal la même année, une Ségolène Royal pour qui bien du monde s'était enflammé, assez mystiquement d'ailleurs, et qui avait fait chou blanc. La droite n'est pas non plus rejetée, puisqu'elle s'est renforcée en cinq ans (46,87% contre 45%). Les électeurs perdus de Sarkozy en 2012 ne se sont pas détournés de la droite, bien au contraire. Ceux-là n'ont donc pas jugé que Sarkozy en avait fait trop (dans l'exclusion, la haine et toutes les simagrées pseudo-fascisantes qu'on lui reproche), mais qu'il n'en avait pas fait assez — d'où le succès de Marine le Pen au premier tour. Ces électeurs-là ne sont tout de même pas idiots pour passer des bras de fer de Le Pen à ceux de caoutchouc de Hollande. Ce sont des gens qui aimeraient davantage d'autorité, de poigne. Ils veulent au sommet de l'état un ours, pas un lapin. Ils voteront Sarkozy, s'ils ne s'abstiennent pas.

J'ai beaucoup ri hier quand Hollande a récité sa fable de la grenouille qui se veut faire aussi grosse que le bœuf : Moi président de la République, etc. Quinze fois, qu'il nous a martelé ça ! Il enflait à mesure. On aurait dit un petit garçon essayant de se convaincre qu'il serait John Wayne si sa maman voulait bien lui offrir un pistolet à eau. Avec ça, il en dégommerait, des Apaches ! Le gros effet de rhétorique, la belle anaphore bleue ! Si encore ça lui était venu spontanément ! Le lyrisme peut être sincère. Là, c'était préparé et mimé. Un mauvais acteur récitait sans y croire une tirade digne de Guignol. J'ai cru que le régisseur allait lancer la fameuse chanson de Gérard Lenorman (Si j'étais président) et que tout le staff socialiste allait débouler dans le studio avec des sourires fendus jusqu'aux oreilles, frappant dans leurs mains, reprenant tous en chœur le refrain — que dis-je ! l'hymne hollandais. Franchement, non. Assez de salades. 
 
La veille de ce débat, Sarkozy grignotait un peu de son retard. Hollande était encore toutefois donné vainqueur avec une belle avance (53% contre 47%). Pour les spécialistes, les jeux étaient et restent faits. En effet, jamais on n'a vu un candidat refaire en trois jours un tel handicap. Le débat, sauf explosion en vol du candidat en tête, ne permettrait pas à l'autre de combler son retard. Si j'ai trouvé Hollande médiocre et ridicule, il ne l'a pas été d'une manière saignante. Il s'est débattu, il a geint. Il n'a pas fait sous lui. Sarkozy lui a mis des baffes là où moi j'aurais frappé à mort. Hollande a été agressif, lis-je. Nenni : il a couiné, c'est tout. 
 
Dimanche soir, à vingt heures, le nom du vainqueur sera connu. Je vous avais donné mon pronostic final au soir du premier tour : Hollande, d'une courte tête. Je vous avais promis mon pronostic définitif pour après le débat. Nous y sommes. Alors quoi ?

Une évidence pour commencer : je ne crois pas que Sarkozy puisse perdre avec six points d'écart dans une France qui penche toujours plus à droite. S'il perd, ce sera de peu, et ce ne sera pas un triomphe du clown corrézien. Enfin, j'ai beau me pincer, je n'arrive pas à envisager Hollande président de la République ailleurs que dans ses rêves humides et roses. Il va se passer quelque chose dimanche. Sarkozy, contre toute attente, va l'emporter, d'une très courte tête. Je n'y crois pas dur comme fer, c'est un vœu pieux sans doute, mais je sens que les flonflons ne retentiront pas là où on les attend. Le Diable va frapper. La vie en rose sera une fois de plus remise aux calendes grecques.

Si Sarkozy perd, je ne serai pas plus triste que ça, vu qu'il n'était pas mon candidat au premier tour. Je serais déçu pour la France qui mérite mieux que l'avatar de Pantalon à sa tête, et désolé pour quelques amis. Je me reprendrais bien vite à la perspective goulue des inévitables et rapides déboires de Flanby et associés. Nous ne serions plus alors dans la fiction (Si j'étais président), mais dans la dure réalité (Vaisselle cassée).

Je n'ai pas tout dit.

Si je vois Sarkozy l'emporter dimanche, je vois aussi la majorité perdre aux législatives de juin et Sarkozy obligé de gouverner cinq ans durant avec les socialistes. 
 
Je suis vicieux, je sais.

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